Coédité par l’Inrap et les éditions Tallandier, l’Atlas archéologique de la France raconte un million d'années d'occupation humaine de l'Hexagone et des Outre-mer en 100 cartes inédites et 200 illustrations, issues de dizaines de milliers de fouilles et d’enquêtes archéologiques menées depuis plusieurs décennies. Muriel Gandelin, archéologue Inrap, co-autrice de l'ouvrage, présente la carte de la première grande statuaire qui émerge au Néolithique.

Dernière modification
18 décembre 2023
Atlas archéologique carte Néo

Carte de « La première grande statuaire » (Néolithique), Atlas archéologique de la France, Tallandier/Inrap, p.69. 

© Aurélie Boissière/Tallandier/Inrap


Que montre cette carte ? Pourquoi la figure humaine émerge-t-elle au Néolithique ?

Cette carte présente les grandes figurations humaines connues pour la période néolithique en France et ses marges. La figure humaine, qui est marginale et même très rare durant le Paléolithique, prend beaucoup d'importance au Néolithique car l'homme se place désormais au centre des récits imaginaires et religieux. Avec la domestication de la nature, le développement de l'agriculture et de l'élevage, la sédentarité et, finalement, l'invention du monde paysan néolithique, les modes de pensée évoluent. L'homme commence à se considérer comme prééminent sur la nature. Les divinités prennent alors forme humaine et le champ lexical des mythes et croyances évolue : l'Homme se place au centre du discours. Les statues-menhirs, qui sont les premières sculptures monumentales d'Europe occidentale, sont le reflet de ces changements. Elles figurent des hommes et des femmes assis, en majesté, et richement parés.
 

Y a-t-il des disparités régionales de style ? Peut-on les expliquer ? 

Pour ce qui concerne plus généralement les grandes figures humaines, il faut garder en mémoire que le Néolithique dure presque quatre millénaires ! De nombreuses cultures se succèdent dans le temps et dans l'espace, chacune avec des traditions qui lui sont propres. De façon générale, les représentations humaines prennent de plus en plus d'importance tout au long du Néolithique, au fur et à mesure que la société néolithique prospère et se complexifie, avec une statuaire qui devient monumentale à la fin du Néolithique. Il y a des disparités régionales évidentes ; la présence d'un grand nombre de statues-menhirs en Occitanie à la fin du Néolithique est un phénomène qui ne connaît pas d'équivalent ailleurs et qui reste sans explication évidente. Au sein des statues-menhirs languedociennes, il y a des différences régionales avec plusieurs groupes ou sous-groupes définis en fonction de leurs attributs et des modes de figuration de certains détails corporels.

Statue-menhir masculine de Camp-Grand (Tarn), en grés permien (210 x 84 x 30 cm).

Statue-menhir masculine de Camp-Grand (Tarn), en grés permien (210 x 84 x 30 cm). 

© Muriel Gandelin, Inrap


 

Constate-t-on une évolution des registres ? Peut-on l'expliquer par une évolution des sociétés correspondantes ? Quelle est la fonction de ces statues-menhirs ? Que nous apprennent-elles sur les populations ?

Les objets et vêtements que portent les statues-menhirs sont le reflet des objets et vêtements socialement valorisés par les sociétés qui les ont sculptées. Elles sont les seuls témoins de détails vestimentaires et corporels de cette époque. Par exemple, au niveau des ceintures, on observe parfois un tissage en chevrons ; sur le visage, des marques de part et d'autre du nez des femmes sont interprétées comme des tatouages ou des scarifications, le bas des tuniques est orné de franges. Elles montrent aussi des femmes parées de bijoux et des hommes portant des arcs, des poignards ou des haches. Les statues-menhirs masculines sont les plus nombreuses, mais les femmes sont aussi bien représentées et quelques statues sont si stylisées que la figure humaine tend à disparaître. Il est probable que ces statues ne sont pas des portraits car elles sont trop normalisées. Il peut s'agir de divinités protectrices ou d'ancêtres mythiques par exemple, mais leur fonction exacte reste mystérieuse.
 

Quelles données sont utilisées pour établir cette carte de la première grande statuaire en France ? Quelle place prennent les fouilles de l'Inrap pour notre connaissance de cette statuaire ?

Il n'existait aucune carte nationale des grandes représentations humaines néolithiques. J'ai donc dû en établir une à partir de plusieurs sources, notamment les données d'un inventaire des statues-menhirs du sud de la France réalisé par le SRA Occitanie en vue d'une exposition qui s'est tenue entre octobre 2022 et mars 2023. Pour les autres régions, j'ai utilisé de nombreuses publications scientifiques. J'ai choisi de mettre toutes les grandes figures humaines rattachées au Néolithique, mais il faut garder en mémoire que leur attribution chronologique précise est encore discutée.

La découverte de statues-menhirs est rare, mais l'Inrap est à l'origine de la mise au jour de trois d'entre elles ! Et, contrairement à la plupart des statues anciennement connues, celles-ci ont un contexte archéologique. Elles peuvent donc être datées avec plus de précision, même si l'une est en situation de réemploi. Il faut garder à l'esprit que la plupart ne sont pas précisément datées, comme les statues-stèles de Provence. On sait que celle de Douleix (Veyre-Monton, Puy-de-Dôme), découverte par une équipe de l'inrap en 2019 se trouvait au sein d'un alignement de menhirs à proximité d'un axe de circulation majeur ; elle pourrait dater d'une phase ancienne du Néolithique. Celle de la Rouvière (Gard), découverte en 2018, était rejetée au fond d'une cave dans un habitat ; elle peut être rattachée à un groupe humain particulier de la fin du Néolithique. Ces découvertes sont d'un très grand intérêt pour les chercheurs car la statue peut-être reliée à ces créateurs.