Après une saison scientifique et culturelle dédiée à l’archéologie des Temps modernes, l’Inrap consacre sa quatrième saison à l'archéologie de la mer. Objectif : croiser l’histoire des activités humaines, centrées sur les échanges maritimes, avec celle des processus d’occupation du littoral.

Dernière modification
24 février 2020

Avec 19 200 km de façade maritime, dont 5 500 en métropole et 13 700 outre-mer, la France est le deuxième espace maritime mondial, derrière les États-Unis. Cet espace omniprésent dans l’histoire humaine n’a retenu que tardivement l’attention des archéologues. Ainsi, l’archéologie maritime qui a vraiment pris son essor à partir de la seconde moitié du XXe siècle, grâce aux développements des appareils de plongée (scaphandre autonome), a d’abord profité à la connaissance des sites submergés et des épaves. Elle s’est par la suite intéressée plus globalement aux activités maritimes. L’archéologie du littoral ou côtière, elle, a surtout bénéficié du développement de l’archéologie préventive au cours de ces trente dernières années. Les littoraux présentent en effet une forte densité de population (2,5 fois plus élevée que la moyenne nationale) dont l’expansion se traduit par une intensification des aménagements et des opérations archéologiques préventives. Les littoraux sont aussi exposés à de multiples phénomènes d’érosion qui fragilisent les sites archéologiques (tout en les révélant parfois), d’où la nécessité de préserver ce patrimoine littoral et maritime.

L’archéologie du littoral cherche à éclairer les problématiques de peuplement, de ressources, d’habitat et d’urbanisme dans le temps long, sur cette bande plus ou moins fine attenante à l’espace marin (de la limite des eaux territoriales, à 12 milles marins, jusqu’à une partie variable de l’« arrière-pays »). L’archéologie maritime vise, elle, au travers de l’étude des épaves, des infrastructures portuaires civiles et militaires, des zones de mouillage, à restituer les échanges de biens et de personnes et à mieux comprendre l’histoire maritime.
Au travers de cette saison « mer », l’Institut entend apporter de nouveaux éclairages sur ces interaction homme/milieu et cette interface terre/mer, au croisement de l’étude des sociétés et des sciences de l’environnement.


Archéologie ultramarine

Grâce au développement de l’archéologie préventive, les fouilles réalisées dans l'océan Indien, aux Antilles et en Guyane ont permis, au-delà des limites de ces territoires, de nourrir des questionnements plus larges. Ainsi, l’étude des sites précolombiens a mis en lumière les dynamiques de peuplement de l’espace caraïbe, véritable « Méditerranée des Amériques », tandis que celle des sites postérieurs à la conquête a permis d'approfondir les connaissances d'une économie maritime de type colonial, basée sur des infrastructures sucrières et l’importation d’une main d’œuvre servile venue d’Afrique.
La recherche archéologique ultramarine s’étend également aujourd’hui à de nouveaux objets d’étude, comme les problématiques d’urbanisme ou le commerce et les échanges intercontinentaux. L’Inrap a été ainsi partenaire du colloque international « Les échanges transatlantiques entre la France et ses colonies d’Amérique à la lumière de la culture matérielle (XVIe-début du XIXe siècle) » qui s’est tenu à l’université de Caen en novembre dernier (disponible en vidéo sur Inrap.fr). Ce colloque a mis en évidence l’existence d’une culture matérielle française spécifique au cours de la période moderne dans les colonies françaises des Amériques (Amérique du Nord, Antilles et Guyane françaises), tout en dressant un bilan des recherches en cours sur ces sites coloniaux, en particulier dans le cadre du programme de recherche « Les territoires de la ville, de l’Archipel des Antilles aux plateaux des Guyanes (XVIe-XIXe siècle) », lancé par les services régionaux de l’archéologie et l’Inrap. 
Ces nouvelles recherches sur le « fait urbain » ont trouvé un champ d'application fécond dans la ville de Saint-Pierre en Martinique, entièrement détruite par l’éruption de la Montagne Pelée, le 8 mai 1902. La ville s’est progressivement reconstruite à partir des années 1930, mais son sous-sol est resté intact et offre aujourd’hui le potentiel archéologique d’une petite « Pompéi ». La ville a déjà fait l'objet de plus de 75 opérations d’archéologie préventive (aménagements portuaires du quartier du Mouillage ou du quartier du Fort, Allée Pécoulrue d’Orléansrue Castelneau,...). En 2020, des fouilles sous-marines menées dans la zone de mouillage du port apporteront de nouveaux éléments sur les bateaux coulés lors de l’éruption. Toutes ces données de l’archéologie préventive nourrissent le système d’information géographique (Sig), ainsi que le Nouvel atlas archéologique de Saint-Pierre (2021) dont l’Inrap s’est vu confier la réalisation par le service régional de l’archéologie de Martinique et l’université des Antilles.

Archéologie littorale et environnement

Formés de côtes rocheuses, de falaises, de dunes, de plages ou de mangroves, les littoraux sont des systèmes dynamiques, aussi fragiles que mobiles. Les sites archéologiques qu’ils abritent sont exposés à des phénomènes naturels d’érosion, fortement accentués ces dernières années par le dérèglement climatique et ses conséquences (tempêtes, houle, cyclones, baisse ou montée des océans, eaux de ruissellement…) qui nécessitent d’intervenir de plus en plus souvent en urgence. Tel est notamment le cas du cimetière d’esclaves à Anse Bellay en Martinique dont la fouille se terminera en 2020 et qui a nécessité l’installation d’un dispositif de protection (géotextile et treillis métallique) contre la montée des eaux. Se pose plus généralement la question des méthodes d’investigation, de sauvegarde par l’étude et de conservation de tous les sites menacés par l’érosion maritime et le recul du trait de côte. Ces problématiques environnementales expliquent le regain d’intérêt pour les recherches en géoarchéologie et en géomorphologie, qui s’attachent à mettre en évidence, sur le temps long, la mobilité des paysages littoraux et portuaires.

L’Inrap est ainsi partenaire cette année de plusieurs projets et manifestations scientifiques qui portent sur cette thématique. Dans le Pas-de-Calais, le projet « Archéologie environnementale des systèmes littoraux et fluviaux de la Mer du Nord et de la Manche » mêle ainsi étroitement des données archéologiques et paléoenvironnementales et permet de prendre la mesure des interactions entre l’occupation du territoire et l’évolution de l’environnement au cours de l’Holocène, c'est-à-dire des 10 000 dernières années.
Les 4 et 5 mai 2020 à l'Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM, Plouzané), une table‐ronde « Explorer la côte, sonder le passé : méthodes et pratiques de la préhistoire maritime »,  est organisée par la Société Préhistorique française et le réseau international PrehCoast, en partenariat avec l'Inrap. Elle entend proposer un large bilan des nouvelles méthodes d’exploration des habitats préhistoriques en domaine maritime.
L’Institut est également partenaire du colloque « Homer 2020 - Archéologie des peuplements littoraux et des interactions Homme/Milieu en Atlantique nord équateur » qui se tiendra à l’ïle d’Oléron (Château d’Oléron), du 28 septembre au 3 octobre 2020.
Toujours sur ces problématiques insulaires, Une maison sous les dunes : Beg ar Loued, Île Molène, Finistère, Identité et adaptation des groupes humains en mer d’Iroise entre les IIIe et IIe millénaires avant notre ère, récemment publié et dirigé par Yvan Pailler (Inrap), esquisse l’économie (élevage, agriculture, pêche, collecte des coquillages, etc.) des hommes ayant occupé les rivages de la mer d’Iroise au Néolithique, en parallèle d’une étude du paysage végétal, de la géomorphologie, de la géologie et de la faune.

Archéologie sous-marine

Le service d’archéologie sous-marine et subaquatique de l’Inrap intervient sur des contextes immergés pour lesquels le département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) est prescripteur au niveau national. Tout comme les zones émergées, le domaine public maritime est exposé à une forte demande d’opérations d’archéologie préventive, dues à de vastes travaux d’aménagements portuaires ou offshore (centrales éoliennes et hydroliennes, liaisons électriques ou communication) ou à l’érosion et au recul du trait de côte qui nécessitent d’intervenir de plus en plus souvent dans l’urgence pour sauvegarder un patrimoine archéologique menacé de disparaître. En 2020, l’Inrap conduira des investigations dans des zones portuaires et de mouillage, à Barneville-Carteret (Manche), La Rochelle, Port-la-Nouvelle (Aude), Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes), La Ciotat, Cannes (zone de mouillage et débarcadère de l’Île Sainte-Marguerite), Saint-Pierre et Spoutourne (Martinique), Bouillante (Guadeloupe) et à la Réunion.

Archéologie de l’estran

Les études paléoenvironnementales et géoarchéologiques ont aussi contribué à l’émergence de l’archéologie de l’estran, c’est-à-dire de la zone située entre les limites extrêmes des plus hautes et plus basses marées. Difficile à fouiller, étudié depuis peu, cet espace intermédiaire et mouvant se révèle aujourd’hui d’un très grand intérêt, à la fois par sa situation, au plus près du trait de côte, qui le place au coeur des problématiques environnementales actuelles, et par l’originalité de certains de ses sites, insulaires et en partie autarciques, ou bien ouverts au commerce et au trafic maritime. Tel est le cas, sur la plage d’Urville-Nacqueville (La Hague), d’une ancienne agglomération portuaire gauloise (Ier siècle avant notre ère) qui commerçait avec l’Angleterre et qui a été fouillée au rythme des marées entre 2009 et 2017. L’exposition, « Le peuple des dunes, des Gaulois sous la plage » (Manoir du Tourpe La Hague, 4 avril - 1er novembre 2020), conçue en partenariat avec l’Inrap, dressera le bilan de ces fouilles et de leur apport.
 

Sites littoraux stratégiques

Toujours sur la façade de la Manche, le site de Mont Castel, à Port-en-Bessin (Calvados) fera l’objet de sa septième fouille programmée. Occupé depuis la fin de l’âge du Bronze, ce site dominant un port est devenu un oppidum gaulois à la fin du second âge du Fer , avant que ne s'y implante un camp militaire romain. Les recherches se concentrent sur cette période de transition à la fin de l’indépendance gauloise et avant la période augustéenne, et sur le rôle du site dans les échanges transmanche.
S​ur la façade méditerranéenne, le projet « Les Bouches de Bonifacio à l'époque romaine : approches archéologiques et géoarchéologiques » vise à décrire la structuration de l’habitat, à déterminer les ressources disponibles, leur mode d’exploitation et à aborder les interactions entre ces sites littoraux corses avec les sites sardes dans le cadre d’une stratégie de contrôle du détroit.
 

Manifestations et ressources

En novembre, le colloque annuel international de l’Inrap sera consacré à l'archéologie des rivages. Il permettra d’approfondir les thématiques de la saison et d’ouvrir sur de nouvelles perspectives de recherche. Quels sont les avantages et les contraintes d’habiter le littoral ? Quelles sont les caractéristiques architecturales de l’habitat littoral à l’Époque moderne ? Comment penser l’habitat littoral du point de vue du contact et des échanges maritimes ? Ce colloque interdisciplinaire sera l’occasion de se pencher plus avant sur le territoire des Antilles et ses échanges avec les Amériques.

Une exposition photos « Archéologie de la mer », produite par l’Inrap, itinérera en France. On pourra aussi découvrir « L'aventure phocéenne. Grecs, Ibères et Gaulois en Méditerranée nord-occidentale » jusqu'au 6 juillet 2020 au site archéologique Lattara-musée Henri Prades de Montpellier Méditerranée Métropole.

Enfin, tout au long de l’année, le site inrap.fr permettra d’approfondir la thématique, au gré des nouvelles découvertes et des manifestations de la saison. Deux dossiers thématiques, « Archéologie de la mer » et « Archéologie des outre-mer », présentent déjà la contribution de l’archéologie préventive à l’histoire des échanges maritimes et des processus d’occupation du littoral.