Existe-t-il des vestiges « sportifs » et une archéologie du sport est-elle possible ? En 2024, l’archéologie éclaire les jeux du stade ! L’Inrap consacre sa saison scientifique et culturelle à la thématique « Archéologie et sport » dans le cadre des Olympiades culturelles, en lien avec les Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Les projets de cette saison favorisent une approche croisée et des passerelles entre sportifs et chercheurs, entre scientifiques et artistes, entre monde scientifique et associatif. 

Dernière modification
29 février 2024

Archéologie du sport

Qu’est-ce que le sport ? Si l’origine du mot, apparu en Angleterre au XIXe siècle (de l’ancien français desportdeport « jeu, amusement ») est très bien documentée, sa réalité, située à la croisée de notions aussi diverses que le jeu, les loisirs, la santé, la maîtrise de soi, la compétition, le spectacle ou encore la politique est plus délicate à appréhender. Au sens d’une pratique méthodique et répétée d’activités physiques, que l’on cherche à mieux maîtriser, le sport ouvre un large champ de réflexion aux archéologues. En interrogeant des vestiges et structures matérielles du passé, ceux-ci peuvent documenter un ensemble de pratiques sportives et montrer quand et comment certaines activités physiques – plusieurs pratiquées parfois depuis la Préhistoire pour la survie – ont évolué vers des sports avec leurs règles et leurs équipements. Ainsi l’archéologie est-elle en mesure de proposer une vision et une connaissance de pratiques corporelles au sens large et sur le temps long, offrant un ressort de réflexion sur la place actuelle du sport dans la société.

Le sport avant le sport

Beaucoup de nos sports ont pour origine des activités physiques utilitaires, comme la chasse, la guerre ou les déplacements. Quand on s’exerçait et se dépensait, on faisait du sport « sans le savoir », c’est-à-dire, hors d’un cadre de pratiques ritualisées et codifiées. Les squelettes humains sont de précieuses sources d’informations sur ces pratiques physiques et l’état sanitaire des populations du passé. L’archéoanthropologue peut ainsi documenter et analyser des effets de certaines activités physiques sur la morphologie et les os du corps. Tel est par exemple le cas de l’Homme de Tourville (Inrap, 2014). L’humérus de ce prénéandertalien présente une crête inhabituelle, résultant du mouvement répété du lancer de sagaie, identique à celle observée chez des athlètes professionnels contemporains. Le squelette d’une archère de 20 ans, inhumée entre le VIIIe et le VIe siècle av. J.-C. en Arménie, présente des attaches musculaires développées dans le haut du corps et pour les muscles fessiers, indicatives de la pratique répétée du tir à l’arc et de la monte à cheval. Ou encore, plus proche de nous, le squelette de l’athlète de Tarente (vers 500-480 av. J.-C.), retrouvé dans un sarcophage en marbre sculpté, qui présente diverses traces caractéristiques des sollicitations des muscles par le saut en longueur (os du bassin), le lancer de disque (articulation des épaules) et la course de chars (extrémité des péronés).  

Détail de la trace d'enthésopathie de l’os du bras gauche d'un pré-Néandertalien retrouvé sur le site de Tourville-la-Rivière (Seine-Maritime), en 2010.  L'enthésopathie est une anomalie (crête inhabituelle à l'endroit de l'attache du muscle deltoïde post
Détail de la trace d'enthésopathie de l’os du bras gauche d'un pré-Néandertalien retrouvé sur le site de Tourville-la-Rivière (Seine-Maritime), en 2010.
L'enthésopathie est une anomalie (crête inhabituelle à l'endroit de l'attache du muscle deltoïde postérieur). Cette anomalie résulte, selon toute vraisemblance, de la sollicitation du muscle deltoïde postérieur par un mouvement répétitif - peut-être celui du lancer.
© Denis Gliksman, Inrap

Des vestiges archéologiques d’accessoires liés à des pratiques considérées aujourd’hui comme « sportives » sont également conservés. Les plus anciens skis en bois proviennent de Russie et datent de 6 000 ans av. J.-C., alors que des peintures sur des parois de grottes en Mongolie, remontant à plus de 10 000 ans, figurent déjà des chasseurs munis de bâtons et juchés sur de longues planches effilées poursuivant des buffles. Des pirogues néolithiques ont été découvertes à l’occasion notamment de fouilles préventives dans le quartier de Bercy à Paris. De la Protohistoire au Moyen Âge, les vestiges d’activités liées au lancer, à l’archerie, à l’escrime, à l’équitation sont largement représentés sur les sites archéologiques, comme les pointes de flèches, lanceurs, sagaies, éléments d’arc, harnachements de cheval, lances, épées, patins à glace en os (carolingiens), balles… Des représentations idéalisées sur tous les types matériaux témoignent du prestige dont les athlètes et les champion(ne)s ont joui dans les sociétés du passé : statues d’athlètes (archers, boxeurs, guerriers) de Sardaigne à Monte Parma (Xe-VIIIe s. av. J.-C.), joueuses de polo chinoises (VIIIe siècle av. J.-C.),...

Conf BnF sport Delattre

Patins en os et chaussure en cuir du XIe siècle découverts à Saint-Denis.

© E. Jacquot / UASD

 

Émergence du sport

Les représentations et les vestiges archéologiques montrent qu’il y a eu de l’activité physique à toutes les époques, puis ces pratiques se codifient en tant que disciplines. C’est en Grèce antique, en 776 av. J.-C., que le sport international se met en place et se structure, en marge des conflits guerriers : il offre à des cités ennemies la possibilité de s’affronter pacifiquement, tous les quatre ans. Le site d’Olympie, fouillé dès 1875, comprenait ainsi un stade (piste en terre rectangulaire d’une longueur de 192 m, entourée de gradins), une palestre, un hippodrome, un gymnase (pour les entraînements). 

Saison sport 1

Amphore : Course à pied. Amphore panathénaïque du Peintre de Cléophradès 500 av. J.-C., musée du Louvre.

© Marie-Lan Nguyen, Musée du Louvre, Public domain, via Wikimedia Commons

L’athlétisme (du grec athlon « combat ») regroupe aujourd’hui plusieurs sports et activités physiques qui étaient pratiqués en Grèce antique, comme le saut (avec des poids), les lancers de disque et de javelot, la gymnastique, l’haltérophilie, la lutte ou encore la course. Si les Romains ont perpétué ces pratiques, ils ont imposé leurs jeux (ludi) et leurs fêtes (feriae) et promu de nouvelles disciplines dans un cadre public et compétitif ou privé, certaines d’origine étrusque comme les jeux de balle, la boxe romaine ou le pugilat et le pancrace (sorte de catch à mains nues), à différencier de la lutte grecque.

Saison sport 3

Mosaïque des bikinis, villa de Casale, Piazza Armerina, Sicile, Italie.

© Kenton Greening, Public domain, via Wikimedia Commons


Le sport favori des Romains a été la course de chars, tirés par deux ou quatre chevaux, avec ses clubs (factions) ou écuries représentés par des couleurs, qui rythmait la vie de Rome (une course tous les trois jours) au sein et autour d’une infrastructure colossale, le Circus Maximus qui pouvait accueillir 150 000 spectateurs. C’est vers 100 av. J.-C. qu’ont été introduits les combats de gladiateurs (munera) au sein des amphithéâtres et arènes, dans un cadre de divertissement.

Antiquité - Camée en onyx

Camée en onyx bleu et blanc représentant la déesse romaine Minerve sur un char, Antiquité, Parville (27). Musée départemental des Antiquités à Rouen.



©

Hervé Paitier, Inrap

La plupart de ces sports ont nécessité la construction d’équipements sportifs qui ont façonné le paysage urbain. On ne compte plus en Gaule romaine ces édifices sportifs, cirques, arènes et amphithéâtres, qui équipaient chaque chef-lieu et dont beaucoup ont fait l’objet de fouilles préventives :  Fréjus, Arles, Nîmes, Cimiez, Cahors, Poitiers, Saintes, Lutèce, Metz, Besançon... Conçus pour accueillir des dizaines de milliers de spectateurs, ces grands équipements ont été des vecteurs efficaces de la « romanisation » et d’un sport spectaculaire ou de divertissement, différent du cadre grec, qui présente des similitudes avec certains sports contemporains.

Les Romains ont également promu une culture ou une hygiène mentale et corporelle (mens sana in corpore sano) accordant une place importante aux exercices physiques, comme la natation, la lutte ou la gymnastique. Ces activités étaient généralement pratiquées dans les thermes, équipés de palestres et de piscines. 

Une fouille de l'Inrap à Beutin (Pas-de-Calais) a ainsi permis de mettre au jour un édifice thermal à circuits balnéaires distincts, dont l’un, atypique, semble avoir été dédié à des activités sportives, avec une salle de sport chauffée, un espace dédié aux exercices physiques (haltères, lutte, gymnastique…), adjacent à un autre espace qui pourrait correspondre à une palestre, permettant de pratiquer des activités nécessitant plus de place, comme les jeux de balles ou l’entraînement au pugilat.

Vue vers le nord-est des hypocaustes de la seconde section thermale

Vue vers le nord-est des hypocaustes de la seconde section thermale de Beutin (Pas-de-Calais).

© D. Bossut, Inrap

Sports et desports (Moyen Âge et époque moderne)

S’ils n’ont pas laissé de vestiges d’équipements comparables à ceux de l’Antiquité, les sports ou desports ont été très présents dans la culture médiévale. On jouait à la soule (gros ballon rempli de son, sport associé au rugby), au croquet ou jeu de mail, au tir à la bute (arc), tandis que les tournois étaient réservés à l’élite chevaleresque. À l’intérieur d’un champ clos, des équipes de « tournoyeurs » s’affrontaient dans une série de combats équestres ou pédestres « sans haine » qui se substituaient à la guerre. Les tournois ont décliné à partir de l’introduction de la poudre à canon qui a bouleversé l’art de la guerre.

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Balle de Moissac (XIIIe s.). Composée d’une enveloppe de cuir de veau et rembourrée de fibres végétales (lin). Lancer? Soule?

 © B.Lefebvre


Apparu durant la période médiévale et souvent considéré comme l’ancêtre du tennis, le jeu de paume, le « roi des jeux » ou le « jeu des rois » a connu son âge d’or en Europe occidentale au XVIe siècle sur les sites princiers, mais également dans les villes et leurs rues, dans les villages et dans les domaines ecclésiastiques (abbaye royale de Saint-Denis, château de Lourdon). La « folie » du jeu de paume a vu la France se couvrir de salles ou « tripots » dédiés à ce sport (plusieurs centaines à Paris, 40 à Orléans). Ces quinze dernières années, onze jeux de paume ont ainsi fait l’objet d’investigations archéologiques en France, à Villers-Cotterêts, BloisVersaillesRennes, Marseille...

Vue zénithale de la cour de l’ancien logis de François Ier dans laquelle a été aménagé le jeu de paume (en cours de fouille).

Villers-Cotterêts, vue zénithale de la cour de l’ancien logis de François Ier dans laquelle a été aménagé le jeu de paume (en cours de fouille).

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Denis Gliksman, Inrap


 

Saison « Archéologie et sport » 

En 2024, dans la dynamique des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) et de l’Olympiade culturelle, l’Inrap consacre sa saison scientifique et culturelle à la thématique « Archéologie et sport », tout en favorisant des approches croisées et des passerelles entre sportifs et chercheurs, entre scientifiques et artistes, entre monde scientifique et associatif.

« Homo athleticus », une exposition itinérante

Au programme de cette saison scientifique et culturelle, l’Inrap présente dès le mois de février une exposition à vocation itinérante « Homo athleticus » qui vient enrichir la collection des Archéocapsules de l’Institut. Légère et modulaire, cette Archéocapsule traite à l’aide d’exemples archéologiques des questionnements sur le sport actuel : culte de la performance, recherche du corps parfait, place des femmes dans le sport, politique et aménagement urbain… Elle circulera tout au long de l’année dans différentes structures culturelles partenaires de l’Inrap : abbaye Saint-Germain d’Auxerre, Muséoparc Alésia, Musée départemental Arles antique, Saint-Dizier, Chronographe (musée de site archéologique), Musées de Poitiers, Musée de Marseille, Musée national du Sport, Point éphémère, Mairie de Paris (itinérance dans des médiathèques parisiennes)…

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Illustration de l’archéocapsule sur le sport « Homo athleticus »

© Inrap/ Stéphane Trapier

 


Un cycle de conférences à la BnF

En partenariat avec l’Inrap, la BnF consacre son cycle annuel « De la fouille à l’écriture de l’histoire » à l’archéologie du sport. Au programme : tir à l’arc néolithique, arts martiaux de l’Antiquité, équitation mérovingienne, jeux de paume et jeux nord-amérindiens. Au fil de six conférences, archéologues et historiens mettront en valeur les différentes facettes de l’archéologie du sport et montreront ainsi sa pertinence pour interroger et mieux comprendre le sport d’aujourd’hui, héritier de gestes et d’accessoires qui l’ont précédé et de pratiques ludiques et sportives passées.

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Détail d’une scène de palestre, canthare attique VIe av. J.-C. (BnF, MMA, De Ridder. 354).

© Serge Oboukhoff; © BnF-CNRS-MSH Mondes
 


Il était une fois le sport

Au mois de juin, l’Inrap publie avec Actes Sud Jeunesse Il était une fois le sport, un livre écrit par Valérie Delattre, archéoanthropologue à l’Inrap, et illustré par Ruben Gérard. De la Préhistoire (« Néandertal un sprinter de haut niveau ») au monde actuel (« Sport pour tous »), l’ouvrage dresse en une trentaine de focus un panorama mondial, vivant et accessible, des pratiques « sportives », d’après ce que nous en apprennent les vestiges archéologiques. 


Un évènement sportif, festif et scientifique : les Olympiades préhistoriques

Plusieurs initiatives sont portées par des structures associatives et des collectivités en partenariat avec l’Inrap, pour mettre en place les Olympiades préhistoriques, mêlant archéologie expérimentale et épreuves sportives : championnat européen de tirs aux armes préhistoriques, régates de pirogues néolithiques… (programmation en cours). Des compétiteurs venus de toute l’Europe viendront s’affronter et expérimenter leurs pratiques auprès du public. Celui-ci pourra participer lors des Journées européennes de l’archéologie (14, 15 et 16 juin 2024) à des animations sur les « sports préhistoriques », notamment dans les villages archéologiques de Saint-Germain-en-Laye et du lac de Saint Point (Doubs).

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Atelier-construction d'une pirogue néolitique au village de l'archéologie de Saint-Germain-en-Laye (musée d'Archéologie nationale), Journées européennes de l'archéologie, juin 2021.

© Anita Husser, Inrap

Triptyque aux Rencontres d’Arles

Conçu en partenariat avec le Musée départemental Arles antique, le projet « Triptyque : une archéologue, une photographe et une athlète paralympique explorent le handicap » consiste en un processus de rencontres, au sein des collections du musée, associant les regards croisés d’une photographe, Marguerite Bornhauser, d’une chercheuse spécialisée en archéologie du handicap, Valérie Delattre et d’une championne paralympique, Pernelle Marcon. Cette équipe singulière est invitée à dialoguer et à croiser leurs regards respectifs sur le corps, en s’immergeant dans les œuvres du musée arlésien et dans le lieu culturel lui-même. Cette création artistique inédite sera présentée au public de juillet à septembre 2024. Cette initiative est lauréate de l’appel à projets « Inspiration, création et handicap » lancé par le ministère de la Culture et Paris 2024 dans le cadre de l’Olympiade culturelle.

Une journée d'étude avec l'ENS

Au mois de novembre, l’Institut produira, avec l’École nationale supérieure (ENS), une journée d’étude sur le sport dans l’Antiquité. Les contributions de cette journée seront publiées dans la revue scientifique de l’Inrap, Archéopages.