Le castrum de Saint-Marcel fait l'objet d'un projet d’ouverture au public par le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône. Dans ce cadre, une fouille préventive a été confiée à l’Inrap dans le but de sonder le terrain à l’emplacement des garde-corps d’un futur belvédère et d’esquisser l’étude du site, par l’observation des vestiges apparents.

Dernière modification
09 février 2024

Le castrum de Saint-Marcel présente les seuls vestiges de château fort de la commune de Marseille. Le site est particulièrement propice à l’installation d’un castrum, c’est à dire un village fortifié associant habitat élitaire — le château — et habitat connexe — le bourg castral — au sein d’un même enclos. Promontoire naturellement défendu par des falaises dominant la vallée de l’Huveaune, une plaine fertile riche de ses moulins par laquelle passe la voie d’Italie, il est situé à 8 kilomètres de Marseille. Le terrain est un plan peu inclinée d’une longueur de 92 m pour une largeur de 12 m sur lequel prennent place, en bas, le village, en haut, le château. À proximité, une falaise rocheuse taillée dans les fines strates du crétacé moyen offre aux maçons tous les matériaux nécessaires à la construction, chaux aérienne comprise.Autrefois stratégique, on disait au Moyen-âge « qui tient les clefs de Saint-Marcel tient celles de Marseille », il a aujourd’hui complètement disparu de la mémoire collective et rares sont ceux, y compris parmi les riverains, qui en connaissent l’existence.

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Le château vu du sud.

© N. Bourgarel, Inrap

Le site a bénéficié d’une monographie, datée de 1888, écrite par son dernier propriétaire, le marquis de Forbin (Forbin d’Oppède 1888), qui reste à ce jour la référence mais demanderait à être vérifiée et réactualisée. L’auteur a aussi fait réaliser des fouilles dont on ne connait pas l’importance mais qui, d’après les quelques sondages récents de l'Inrap, s’avèrent poussées. Si ces travaux ont permis de découvrir, après débroussaillage, un site débarrassé de ses couches de démolition, la question est de savoir ce qu’il reste des niveaux d’occupation.

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Des boucles d’oreille en verre trouvées dans une cache avec des monnaies des années 1900 oubliées sans doute par un des fouilleurs du marquis de Forbin.

© N. Nin, Inrap

Le marquis de Forbin évoque un premier château construit au Ve siècle puis détruit par les Sarrazins en 732, d'après une historiographie marseillaise incertaine. La première mention historique certaine, « sanctus Marcellus castellum Massiliense » (Saint-Marcel, château marseillais), se trouve dans le cartulaire de Saint-Victor et date de 1057. Ses propriétaires successifs, entre l’évêché, les vicomtes et l’abbaye de Saint-Victor, sont à l’image de la ville et ses trois pouvoirs. Au début du XIIIe siècle, le château joue un rôle déterminant. La ville basse de Marseille, parvenue à se libérer de la suzeraineté de ses vicomtes, bénéficie alors de privilèges ; on parle parfois de la « commune de Marseille ». Tout est remis en question lorsque Charles d’Anjou, le frère de Louis IX (Saint Louis) acquiert la Provence en dot en 1246. La communauté marseillaise n’accepte pas cette suzeraineté et des insurgés s’emparent du château de Saint-Marcel à la fin 1261. Charles soumet Marseille au blocus et occupe le château entre 1264 et 1276, pour conquérir la ville et la surveiller ensuite.
Le castrum de Saint-Marcel semble avoir eu davantage une fonction défensive qu’avoir été un lieu de résidence seigneurial. La date et les raisons de sa démolition restent pour l’heure inconnues. Si le castrum semble avoir résisté aux crises du XIVe siècle, il est dit « en ruine » au XVIe siècle.


 

Approche archéologique du castrum

Les murs conservés, certains encore partiellement en élévation, d’autre réduits à de simples arases au niveau du sol, ont pour caractéristique commune, à quelques exceptions près, l’utilisation de moellons de calcaire retouchés, équarris et soigneusement agencés en assises régulières. Il s’agit là d’une technique de construction typiquement médiévale ; aucune structure ou artéfact attribuable à l’époque moderne n’a été trouvé.

Le mortier utilisé est pour l’essentiel un mélange très induré de chaux aérienne et de sable avec de gros graviers roulés, pour le reste, un mortier plus jaune et tendre ou de la terre. C’est le mortier, combiné à la stratigraphie (l’ordre de superposition des murs), qui permet d’établir un phasage davantage que l’appareil (type de parement).

Avant le château

Le marquis insiste sur l’occupation du castrum durant la protohistoire et l’époque romaine. Effectivement, dans les anfractuosités de la roche, qui semble avoir subi un lessivage avant l’époque médiévale, de la céramique modelée témoigne d’une occupation antérieure à l’Antiquité, probablement à la protohistoire. Le site s’inscrit dans les nombreux oppida gaulois qui jalonnent le territoire marseillais, comme le baou de Saint-Marcel situé en vis-à-vis par rapport à l’Huveaune. Aucune structure d’habitat n’ayant été mise au jour pour l’instant, on ne peut dire s’il s’agit d’un habitat pérenne, d’un simple campement ou d’un poste de guet. L’occupation romaine est moins prégnante. Parmi tout le mobilier récolté en surface (et donc dans les déblais de fouille de Forbin), seuls quelques tessons datant du IIe siècle de notre ère attestent une présence dans l'Antiquité.

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En fond de tranchée, le socle rocheux fissuré dans lequel étaient piégés des tessons de céramique protohistoriques.

© B. Sillano, Inrap


État 1 du château

Sur le côté de la partie sommitale du plateau, deux murs de terrasse (15 et 16) ainsi qu’un mur de clôture (ou simple parapet) (9) font partie des plus anciennes constructions (ci-dessous, plan d’ensemble phasé). Il est probable qu’un fossé, qui permettait de barrer l’éperon, se trouvait entre le mur 15 et le mur 68. Ce dernier, lié à la terre, servait de contre-escarpe. Les aménagements au sommet de la butte ont certainement été supplantés par les constructions plus récentes, comme l’atteste un blocage de pierre miraculeusement sauvegardé sous la fondation de la tour (mur 1, espace 1).

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Plan d’ensemble phasé.

© DAO G. Frommherz, Inrap

État 2

La construction d'une courtine (78/79) marque l’abandon et le comblement du fossé primitif. L’enceinte est épaisse de 1 m, construite en bel appareil réglé, percée de la porte d’entrée du château, encadrée par deux archères (l’archère nord a disparu, il n’en reste que son bouchage plus tardif). Au nord-ouest du castrum, deux murs (30 et 34) présentent les mêmes caractéristiques. Au nord, une vaste pièce fait saillie et pourrait être la salle de réception (aula).

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La partie sommitale du château vue du nord-ouest.

© I. De-Carvalho, Inrap

Au point haut du castrum, coiffant un mamelon rocheux, un édifice de 7 m sur 6 m aux murs épais de 1,30 m s’apparente à la tour-beffroi. Une brèche dans son mur nord, à environ 2 m du sol, correspond à la porte dont on aurait récupéré les montants en pierre de taille.

État 3

À l’est de la tour-beffroi, un mur (6) est construit. Son épaisseur, jusqu’à 1,80 m et sa solidité due à son mortier induré l’ont maintenu debout alors qu’il s’agit du mur le plus exposé du site. Il est possible de placer sur son arase un chemin de ronde car des escaliers adossés dont les marches ont disparu permettent d’y accéder. Un mur (12), distant de 4,40 m, est son pendant, . Il est renforcé par un contrefort (50) qui révèle soit une élévation importante, soit un voûtement à l’intérieur. Originalement ce mur se prolongeait jusqu’à l’angle du donjon, soit sur une longueur totale de 9,40 m et il possédait une porte (18) aux piédroits en pierres de taille. Sur le sol, un radier de cailloutis (10) trouvé en sondage devait soutenir un podium placé à l’extrémité est de la pièce. 

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Mise au jour d’un contrefort de mur (12, à droite). Au fond la vallée de l’Huveaune, le Garlaban, la Sainte Baume.

© B. Sillano, Inrap

Deux massifs maçonnés (24 et 22) sont accolés aux angles nord de l’espace 2. Ils adoptent une forme arrondie qui s’adapte à la paroi incurvée d’une citerne, dont une portion, en mortier de tuileau et au profil en cuvette, a été retrouvée. Elle devait occuper l’essentiel de la surface de l’espace 2. Sa construction a nécessité l’obturation de la porte reliant les espaces 2 et 3.

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Orthophotographie du château.

© N. Bourgarel, B. Sillano, Inrap

État 4

Avec la construction des tours nord et sud, des courtines qui les relient, du doublage des enceintes nord et ouest et la création des espaces 3 et 4, l’état 4 est celui qui a laissé les vestiges les plus spectaculaires.

Les deux tours circulaires sont très proches de par leurs formes : une tour de 7,20 m de diamètre avec des murs épais de 1,90 m posée sur un socle tronconique dont la partie conservée est entièrement remplie de pierres de blocage et les élévations réduites à quelques dizaines de centimètres de hauteur. Par contre elles diffèrent radicalement par les matériaux. La tour sud est faite de blocs de calcaire assez cubiques soigneusement taillés dont la face adopte la forme de l’arrondi. La tour nord est monté à la base avec de petits moellons calcaires soigneusement agencés et au-dessus avec de gros blocs de tufs très bien taillés.

La différence de matériaux traduit davantage une différence de fonction qu’un changement d’état. Le socle de petites pierres froides serait destiné à se protéger de la sape. Le tuf, plus facile à tailler, serait préféré au nord, côté qui n’est pas accessible par des engins de siège, contrairement au côté sud dont la tour est dressée en pierre dures. La base d’une porte d’accès (75) ébrasée vers l’extérieur est conservée, ainsi que celle d’une archère (76), qui avait probablement sa jumelle dans une brèche (73) pour protéger la courtine sud. Il s’agit d’archère en capitale (c’est-à-dire bissectrice) à ébrasement simple (et non à niche) équipée d’une plongée (la prolongation de la fente en contrebas du sol de la pièce permet un tir plongeant). L’extrémité inférieure de la fente n’est pas évasée en étrier (sorte de triangle à la base). Ce sont des marqueurs qui permettent d’attribuer la tour aux fortifications capétiennes précoces, en l’occurrence à Charles d’Anjou.

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Détail d'une archère (76). 

© B. Sillano, Inrap


Des courtines (67, 62 et 63, cette dernière ayant disparu), épaisses de 1,90 m, sont liées à la tour sud mais elles sont construites différemment. Il apparait que les maçons qui œuvraient à la tour et ceux qui montaient les courtines n’avaient pas le même niveau de technicité. La tour nord n’est appuyée que d’un côté à l’enceinte (57), de l’autre un espace de 1,40 m les sépare, probablement la poterne. Le doublage de l’enceinte externe par des murs épais de 1,50 m (31 et 32) au nord-ouest du site est attribuable à la même période parce qu’il participe au renforcement de la défense au même titre que les tours et parce que l’analyse des mortiers leur donne un point commun (l’emploi de la chaux hydraulique et non aérienne).

Au doublage externe s’ajoute ponctuellement un autre à l’intérieur (murs 33, 41). Les refends (35 et 42) qui définissent les espaces 3, 4 et 7 sont liés à ces contremurs. La différence d’épaisseur entre eux montre que l’espace 3 était un bâtiment, probablement à plusieurs étages, alors que l’espace 4 était une cour. Une archère basse dans le mur 42 ainsi qu’un collecteur d’eaux pluviales révèlent que ce mur isolait la zone seigneuriale du château.

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Mise au jour d'un mur (35). Au fond, Marseille et la baie.

© B. Sillano, Inrap

Recoupant des murs (33, 35 et 42), les tranchées sur l’emplacement des garde-corps du belvédère ont mis en évidence un remblai de nivellement apposé après leur construction, à même le socle rocheux. Seuls un ou deux sols de terre battue ont été trouvés à la surface du remblai, scellés par une épaisse couche de démolition fine, peut être liées aux fouilles de Forbin. Remblai de nivellement et sols sont datés de la fin du XIIIe siècle, date obtenue en croisant la datation C14 et celle du mobilier. Il est probable que leur mise en place remonte également à Charles d’Anjou.

Le creusement de la roche dans l’espace 6, lui conférant un profil en V dont l’exutoire est une diaclase naturelle qui débouche à la base de la paroi sud, ne semble avoir d’autre fin que de créer des latrines.
 

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Les latrines au pied du socle de la tour-beffroi (au fond). À droite, la tranchée pour les fondations du garde-corps du belvédère.

© B. Sillano, Inrap


État 5

Les pièces voutées placées en enfilade (60-77, vues par Forbin mais effondrées depuis) devant l’entrée du château sont stratigraphiquement postérieures à la courtine (79/78) de l’état 2. Elles pourraient être destinées à supporter une vaste plateforme à engin au-dessus, ou être de simples constructions récentes de type bergerie.

L’opération a duré six semaines pour un effectif de quatre agents. La difficulté d’accès au site, 15 mn de marche sur un sentier raide, a contraint à la réalisation d’une fouille entièrement manuelle. Elle est assortie d’une étude documentaire destinée à dresser l’inventaire des archives disponibles et si possible d’en commencer le dépouillement.

À l’issue de cette opération archéologique préventive, bien des questions subsistent car les tranchées réalisées s’apparentent davantage à de petits sondages qu’à une fouille. Néanmoins, elles complètent l’étude des arases de mur et des quelques élévations conservées ce qui a permis d’établir un plan assez complet et de proposer une mise en phase, voire quelques datations absolues.

La pièce maîtresse du château, sa tour sud, montre l’intérêt qu’a porté Charles Ier d’Anjou au château de Saint-Marcel. Sur les 70 forteresses comtales de Provence sous le règne de Charles, rares sont celles qui ont été fortifiées par ses soins, la plupart étant restées telles qu’il en a hérité. Son intérêt s’est porté sur les frontières du Comté, avec les châteaux d’Hyères, de Brégançon ou de Châteaurenard. Et sur Marseille, où la communauté n’accepte pas cette suzeraineté qui pourrait remettre en questions ses privilèges commerciaux et entre en conflit avec le Comte. En un sens, cette tour marque un tournant dans l’histoire de Marseille qui entre sous l’autorité capétienne.

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La tour du castrum, œuvre de Charles d’Anjou, paraît bien près de la ville désormais.

© B. Sillano, Inrap

Par Bernard Sillano (Inrap, UMR7298)
et l’équipe de l’Inrap : Emmanuelle Miéjac, Gerlinde Frommherz, Stéphane Brousse, Isabelle De-Carvalho
et avec la collaboration de : Nicolas Faucherre (professeur des Université, UMR7298)
Le site se situe maintenant au cœur du Parc National des Calanques, il est protégé et aucun prélèvement ni dégradation n’est autorisé.