À Louviers, les archéologues de l'Inrap ont recueilli et étudié une large panoplie d’outils en silex destinée notamment au travail de la peau il y a 15 000 ans. La vocation actuelle du site, qui accueille désormais la nouvelle maroquinerie de la maison Hermès, entre en résonance avec certaines des pratiques de ces chasseurs-cueilleurs magdaléniens.

Dernière modification
11 avril 2023

Prescrite par les services de l’État (Drac Normandie), la fouille préventive de Louviers s'inscrit dans le cadre de la reconversion du site industriel Cinram par la communauté d’agglomération Seine Eure. Elle a permis de mettre au jour des vestiges du Moyen Âge et d'une occupation du Paléolithique, rare témoignage des modes de vie des chasseurs-cueilleurs de la vallée de l’Eure. 


Des conditions de conservation exceptionnelles

La conservation remarquable des vestiges mis au jour s’explique en partie par la localisation du site. Positionné en rive gauche de l’Eure à environ 15 m d’altitude, le site de Louviers occupe un emplacement de choix, quelques kilomètres en amont de la confluence Seine-Eure. Les calcaires sous-jacents sont riches en silex, ressource dont les préhistoriques ont bénéficié. L’étude stratigraphique montre que l’occupation paléolithique a été fossilisée par des apports lents et réguliers de sédiments. Initialement déposés par le vent, il y a environ 20 000 ans, en pleine période glaciaire, ils ont été érodés et transportés par ruissellement puis ont recouvert les vestiges magdaléniens. L’ensemble a été scellé par un sol formé il y a 12 000 ans.


Il y a 15 000 ans, dans le Nord-Ouest de la France…

Occupé peu avant la transition climatique de l’Holocène, le site de Louviers se place chronologiquement dans le Magdalénien final. Une datation par le radiocarbone, réalisée à partir du collagène préservé dans une dent de cheval, donne un âge de 13 249 à 13 012 avant notre ère, période durant laquelle les conditions environnementales, encore liées à la période glaciaire, commencent à s’améliorer. Les groupes de chasseurs-cueilleurs magdaléniens, déjà connus dans le Bassin parisien (Pincevent, Étiolles, etc.), doivent profiter de ces changements environnementaux pour étendre leurs territoires vers le nord-ouest. L’occupation de Louviers vient combler une lacune importante puisque jusqu’à présent les sites de cette période dans le Nord-Ouest de la France étaient seulement connus par des indices épars.


Chasseurs de chevaux

Malgré des conditions peu propices à la conservation des os, le site a livré une trentaine de témoins osseux, pour l’essentiel des esquilles et des dents qui, grâce à leur constitution, résistent mieux à la dégradation.

Dents de cheval découvertes sur le site de fouille de Louviers (Eure), en 2023. Des vestiges du Paléolithique y ont été mis au jour.
Dents de cheval découvertes sur le site de fouille de Louviers (Eure), en 2023. Des vestiges du Paléolithique y ont été mis au jour.
© Céline Bémilli, Inrap


L’étude archéozoologique montre que tous les éléments dentaires correspondent à une seule espèce, le cheval sauvage. Dans le lot, deux chevaux entre cinq et sept ans et au moins un troisième individu, plus jeune, ont été consommés. Ce faible effectif ne suffit pas pour appréhender la population des chevaux abattus et la stratégie adoptée par les chasseurs, même si leurs âges indiquent des proies plutôt jeunes. La répartition des os sur le site montre que les carcasses ont été traitées dans deux espaces différents.

Évocation du campement magdalénien de Louviers (Eure) et des activités pratiquées sur le site. Des vestiges du Paléolithique y ont été mis au jour.
Évocation du campement magdalénien de Louviers (Eure) et des activités pratiquées sur le site. Des vestiges du Paléolithique y ont été mis au jour.
© Laurent Juhel, Inrap


Une large panoplie d’outils en silex

Avec près de 2350 pièces lithiques concentrées aux alentours d’un foyer empierré, le site de Louviers offre un instantané remarquable d’un campement magdalénien. Les tailleurs ont utilisé des silex locaux d’excellente qualité pour débiter un grand nombre de lames et lamelles. La variété de l’outillage obtenu (burins, becs, perçoirs et micro-perçoirs, grattoirs, scies, lamelles et pointes à dos) témoigne de la diversité des tâches accomplies sur le site. La série a fait l’objet d’une analyse tracéologique intégrale qui a mis en évidence l’utilisation de 250 outils. Les armatures de projectiles - des sagaies – utilisées pour chasser le gibier sont peu nombreuses et comptent des pièces endommagées et quelques ébauches. En comparaison, les couteaux employés à la découpe bouchère abondent. Quelques grattoirs, bien que peu nombreux, attestent le travail de la peau.

La confection d’objets en matières osseuses (os et/ou bois de renne) a tenu une place centrale autour du foyer. Les outils et techniques utilisés apparaissent extrêmement variés et témoignent d’une grande diversité d’activités : le rainurage, le raclage, le sciage ou encore la perforation. Parmi les objets produits, certains éléments de très faibles calibres – l’hypothèse d’une production d’aiguilles se dessine – ont certainement été maintenus sur des supports en peau durant leur façonnage. Toutes les étapes de leur confection pourraient avoir été réalisées sur place : débitage par double rainurage, sciage des extrémités pour le détachement, façonnage par raclage et perforation des chas à l’aide de micro-perçoirs.


Un vaste espace d’échange de ressources

Associée à ces vestiges, des matières ferrugineuses rouges ont été mises au jour sous différentes formes : des petits placages sur des galets, des boulettes ou encore des traces sur les tranchants de certains grattoirs.

Détail de l'imprégnation du colorant ferrugineux d'un galet découvert à Louviers (Eure), en 2023. Des vestiges du Paléolithique y ont été mis au jour.
Détail de l'imprégnation du colorant ferrugineux d'un galet découvert à Louviers (Eure), en 2023. Des vestiges du Paléolithique y ont été mis au jour.
© Serge Le Maho, Inrap


Ces matières colorantes présentent les mêmes caractéristiques que celles utilisées sur l’un des campements magdaléniens de Pincevent. Elles proviennent probablement de couches géologiques au sud de Caen, situées à environ 120 km de Louviers. Leur présence dans des sites aussi distants indique que les communautés magdaléniennes ont fréquenté un vaste territoire.

Galet imprégné de colorant ferrugineux découvert sur le site de fouille de Louviers (Eure), en 2023. Des vestiges du Paléolithique y ont été mis au jour.
Galet imprégné de colorant ferrugineux découvert sur le site de fouille de Louviers (Eure), en 2023. Des vestiges du Paléolithique y ont été mis au jour.
© Serge Le Maho, Inrap


Une petite fenêtre sur un plus vaste campement ?

Les différentes études entreprises suggèrent que le site de Louviers, préservé de
l’érosion durant 15 000 ans, ne constituait pas une petite halte de chasse mais plus
certainement un campement, qui devait dépasser l’emprise de la fouille et qui a en
partie été détruit par les constructions modernes à proximité.
 

Aménagement : Communauté d’Agglomération Seine Eure
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Normandie)
Recherche archéologique : Inrap
Responsables scientifiques : François Charraud, Bruno Aubry, Inrap
Spécialistes : Stéphan Hinguant (Paléolithique), Céline Bemilli (archéozoologie), Céline
Coussot (géomorphologie) et Philippe Forré (études lithiques), Inrap ; Jérémie
Jacquier (tracéologie), chercheur associé UMR6566-CReAAH
Partenaire(s)
Logo Seine et Eure Agglo