Les archéologues de l’Inrap ont mené une fouille sur les élévations intérieures et extérieures de l’église médiévale de l’ancienne chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, en accompagnement du projet de restauration porté par la commune. Elle a permis de mieux appréhender les évolutions architecturales, liturgiques et décoratives du bâtiment entre la fin du XIIIe siècle et le XVIIIe siècle.

Dernière modification
12 janvier 2024

Topographie, exploitation du rocher et gestion de l’eau

L’église médiévale de Sainte-Croix-en-Jarez est établie en limite nord-est d’un promontoire rocheux. La nature de ce substrat a été identifiée comme un socle schisteux. Plusieurs éléments convergent vers une exploitation de ce rocher, notamment plusieurs retailles d’avancées rocheuses, des traces de débitage à la faille et des négatifs de dalles. D’autres éléments témoignent d’une exploitation du substrat dans l’intérêt du bâtiment. Des semis d’impact punctiforme indiquent à plusieurs endroits un façonnage de ce dernier (horizontalisé ou verticalisé).

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Détail du substrat rocheux sous la façade occidentale de l’église du XIVe siècle.

© Mathilde Duriez, Inrap

De l’eau percole et suinte encore aujourd’hui du substrat rocheux. La présence d’une galerie souterraine, probablement à fonction hydraulique (hors prescription) et la découverte de plusieurs cavités (façonnées ou maçonnées) suggèrent une gestion raisonnée de l’eau dans ce secteur de la chartreuse dès l’époque médiévale.

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Départ d’une galerie souterraine sous le mur gouttereau sud de l’église du XIVe siècle.

© Mathilde Duriez, Inrap

Construction d’une première église (fin du XIIIe siècle)

Un premier bâtiment, orienté nord-est/sud-ouest, a été reconnu dans les élévations de l’ancienne église médiévale. Arasé, il est conservé sur environ 12,30 m de long, mesure 8 m de large et a été reconnu sur une hauteur maximale de 3 m. Les données sur ce bâtiment montrent un ouvrage cohérent et soigné. Ce dernier a conservé ses structures d’origine.

Deux baies monumentales témoignent d’un dispositif d’éclairage direct, depuis le nord.
Deux portes, la première à l’est, la seconde au sud, nous permettent de restituer un niveau de circulation qui s’adapte aux dénivellations du rocher.

Si son identification, comme première église de la chartreuse, reste difficile à affirmer, l’attribution de ce bâtiment à la fin du XIIIe siècle est possible grâce aux sources archivistiques et grâce aux données archéométriques (dendrochronologie).

L’église du XIVe siècle

Les études précédentes ont questionné l’homogénéité architecturale de l’église du XIVe siècle. Dans le cadre de cette opération, plusieurs phases de constructions ont clairement été reconnues. Ces travaux d’aménagement et de transformation ont dû être réalisés dans un laps de temps très court, avec cependant à chaque fois un soin réel apporté aux accès, aux dispositifs d’éclairages, aux aménagements liturgiques et aux décors peints.

La première phase de construction correspond à l’édification d’une vaste nef quadrangulaire, d’environ 100 m2, délimitée à l’est par un arc triomphal en pierre de taille et éclairée depuis le nord par plusieurs fenêtres construites en briques. Un niveau de plancher peut être restitué sur toute la surface de cette nef, grâce à la découverte de plusieurs négatifs de poutre. Ce plancher est associé à un massif maçonné, identifié comme le soubassement d’une potentielle porte. Cet accès est situé à l’aplomb de l’arc triomphal.

La seconde phase de construction correspond à l’élévation du chœur sur un soubassement monumental. Cette travée de chœur mesure 7,80 m de long et 6,50 m de large. Elle est éclairée depuis le nord et depuis l’est par des baies élevées en pierre de taille (grès). Ce chœur, couvert d’une voûte d’ogive, est construit en appui contre l’arc triomphal et contre les élévations de la nef. À la jonction de ces deux espaces, un contrefort monumental extérieur conforte le bâtiment.  

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Oculus appareillé au mur gouttereau nord du chœur.

© Mathilde Duriez, Inrap

Plusieurs aménagements, contemporains du chœur, sont réalisés sur les élévations de la nef.
Le dispositif d’éclairage d’origine est abandonné. Deux fenêtres monumentales en pierre de taille sont alors insérées au centre des murs nord et sud du bâtiment, tandis qu’une baie est ouverte en façade occidentale.
Les accès au bâtiment sont aménagés dans le mur gouttereau sud.
La nef est couverte d’une charpente diaphragme. En effet, plusieurs négatifs de jambe de force maintenant les fermes d’une charpente ont été reconnus.

En parallèle, un vaste programme décoratif est réalisé. Un décor peint de faux appareil de pierre grise à joint blanc recouvre les parties hautes des parements intérieurs de la nef.

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Détail du décor de faux appareil de pierre gris à joint blanc — début du XIVe siècle.

© Lisa  Lemercier, Inrap

Ce décor est surmonté d’une frise géométrique. Cette frise court sur les murs jusqu’à l’encadrement intérieur des fenêtres. Ces dernières sont alors mises en valeur par un second faux appareil ocre-jaune et rouge. Ce décor est contemporain d’une tribune et de stalles aujourd’hui perçues en négatif grâce à plusieurs arrêts nets du décor peint, mais aussi grâce à des points d’accroches et la présence de massifs de fondations.

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Détail de la frise géométrique — début du XIVe siècle.

© Mathilde  Duriez, Inrap

Une chapelle funéraire dans le sanctuaire (seconde moitié du XIVe siècle)

Dans le nouveau sanctuaire, des peintures figuratives délimitent la sépulture de Thibaud de Vassalieu, grand bienfaiteur de la chartreuse. Associées à un négatif de plate tombe, elles sont isolées du reste des décors peints par une succession de bandeaux rouge et jaune. Cette mise en valeur permet ainsi de différencier et d’équilibrer l’espace dédié à l’inhumation et l’espace de célébration qui est de sanctuaire.

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Détail des peintures figuratives du chœur — seconde moitié du XIVe siècle.

© Mathilde  Duriez, Inrap

Les modifications architecturales de l’époque moderne

L’église médiévale est épargnée par les reconstructions de l’époque moderne. Le bâtiment change cependant de fonction puisqu’une nouvelle église est construite à proximité, entre la fin XVIIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle. Un programme de transformation cohérent touche le bâtiment dans son intégralité, ses élévations comme ses soubassements. 

Des murs de refend sont construits pour diviser l’ancienne église en plusieurs espaces. Les données archivistiques permettent d’identifier deux de ces espaces. L’ancien sanctuaire est transformé en salle du chapitre, tandis que les élévations de la nef sont modifiées pour accueillir la sacristie de la nouvelle église. La fonction du troisième espace reste difficile à appréhender. Cependant la présence de plusieurs niveaux de plancher rapprochés (racks), et la mise au jour d’un enduit à badigeon sur les parois murales, laisse à penser que cet espace a pu servir d’entrepôt. 

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Église médiévale avant restauration – mur gouttereau nord.

© Mathilde Duriez, Inrap

Aménagement : Commune de Sainte-Croix-en-Jarez
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (DRACAuvergne-Rhône-Alpes)
Recherche archéologique :  Inrap
Responsable scientifique : Mathilde Duriez, Inrap