Dans la commune de Saint-Paul à Saint-Gilles-les-Hauts, une partie de l’ancienne habitation agricole de la famille Desbassayns de Villèle, est devenue en 1974 le musée historique de Villèle et a été classée au titre des monuments historiques en 2019. Dans le cadre de sa transformation par le Département de La Réunion en musée de l’habitation et de l’esclavage, une fouille de l'Inrap associant archéologie du bâti et étude sédimentaire éclaire la compréhension de ce domaine sucrier.

Dernière modification
15 février 2024

Prescrite par la direction des affaires culturelles (DAC) de La Réunion sur une superficie d'un hectare, la fouille est divisée en quatre secteurs : les « longères » (1), les écuries/parc à bœuf/ poulailler (2), la cuisine et son godon (remise) (3), les usines (4). 

Les longères (secteur 1) :  Deux bâtiments de stockage distincts

Ce secteur, prescrit sur 600 mètres carrés, est représenté par un seul bâtiment longitudinal de 44 mètres de long unifié aujourd’hui par une toiture - terrasse en dalle de béton, et d’enduit de ciment épais supportant un badigeon sur tous les murs. Ce  dernier est mentionné sous cette forme dans deux archives distinctes : une de 1886 et une de 1890*. Néanmoins avant 1886, ce sont deux bâtiments distincts, construits en deux temps : la longère ouest plus ancienne et de plus grande dimension est composée de trois pièces. La longère est, composée de deux pièces ,a pour particularité d’être dotée d’une passerelle menant à l’usine.  Maçonnés en moellons de pierres basaltiques taillées, avec une semelle de fondation assez profonde, ces bâtiments présentent un sol historique uniforme, composé de dalle de basalte plus ou moins équarris dans chaque pièce, ainsi que des ouvertures de baies en demi-lune. Ils ont connu plusieurs réaménagements. Une série de sondages intérieurs et extérieurs, ainsi que la purge de certains enduits, ont permis d’émettre des hypothèses sur deux des problématiques importantes pour le futur projet de restauration / réhabilitation, à savoir l’existence ou non d’un étage et la présence du sol historique dans toutes les pièces. Ce sol en basalte se retrouve également en certains endroits extérieurs devant les longères, notamment devant les écuries où se trouve un abreuvoir aménagé contre le mur extérieur nord des longères. Les résultats de l’étude du bâti et des sondages de ce secteur apportent de nouvelles données permettant de mieux comprendre l’évolution spatiale et chronologique de ce magasin de stockage de denrées agricoles, lieu important sur une exploitation.


 

Écuries, parc à bœuf, poulailler (secteur 3) : les vestiges d’un chemin empierré menant du camp des esclaves à l’usine

Ce deuxième secteur couvre une superficie de 1200 m2 dont 900m² de bâti. Ce dernier a eu plusieurs restructurations. Suite aux cyclones de 1850 qui ont pratiquement détruit le premier parc, une écurie provisoire qui a ensuite été empierrée dans l’urgence, est construite. Les vestiges en élévation apparents ainsi que la division des espaces portent les traces de ces réaménagements. La fonction de cette installation est de parquer les bœufs et chevaux nécessaires au transport des denrées via un chariot. Pour faciliter l’entretien et la circulation, le sol des espaces intérieurs et extérieurs est dallé en pierres de basalte volcaniques plus ou moins équarries. La présence de certains murs permet d’envisager l’existence d’une toiture sur les sols extérieurs, probablement en matériaux périssables puisqu’elle n’a pas laissé de traces. Des portions d’un ancien chemin empierré au sud-ouest du secteur ont été mises au jour. Celui-ci semble mener du Camp Villèle (quartier d’habitation des esclaves localisé à l'ouest du domaine) à l’usine. Deux canalisations maçonnées lui sont attachées. D’autres traces du réseau hydraulique, composant essentiel d’une exploitation sucrière, permettent de compléter les informations déjà acquises sur le sujet. Toutefois, l’étude de l’évolution spatiale de ce parc utilisé jusqu’au XXe siècle est complexifiée par les travaux de stabilisation des vestiges, réalisés dans les années 1990 par l’association CHAM (Chantiers Histoire et Architecture Médiévale). On observe tout de même que cet édifice a sans cesse évolué selon ses besoins.

Cuisine, godon, conciergerie et ses abords (secteur 2) : un plan revisité

Sur cette parcelle de 1000m² dont 200m² de bâti, seule la pièce ouest du bâtiment est visitable dans le parcours muséographique. La fouille a permis de constater que la cuisine divisée aujourd’hui en deux pièces n’en formait qu’une, munie de sept ouvertures (3 portes, 3 baies et un oculus). Les briques utilisées pour délimiter ces ouvertures semblent issues de la production locale. Ces éléments permettent de dater la cuisine du XIXe siècle. La présence, toujours visible, de deux corbeaux dans la partie ouest et d’une porte en hauteur dans la partie est, atteste l'existence d’un étage servant probablement de réserve.

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Vue générale drone du secteur 2.

© Fouille archéologique Inrap 2022-2023, Session 3. 22 / réalisée par Eliza et Luca Giussani pour Dolce Cartolina & Dolce Cartolina Drone / @dolcecartolina - www.dcvisuals.fr

L’accès devait se faire par l’extérieur, au nord, au moyen d’un escalier ou d’une échelle. Néanmoins, le double mur conçu pour l’implantation de la conciergerie au XXe siècle en obstrue la lecture. La cheminée encore présente, qui s’appuie contre un mur de béton, est installée plus tardivement, probablement au XXe siècle. La cave située plus au nord et mentionnée dans le testament de Mme Desbassayns et semble appartenir à la première phase de construction de la cuisine. Elle se trouve sous la conciergerie réaménagée en 1949. De plus, des traces de canalisation empierrée et de murs plus anciens se distinguent dans les cinq sondages réalisés au sol entre la cuisine et la cave.
Aucune trace d’occupation n’a été décelée à l'occasion du décapage du reste de ce secteur. S’il existe une cuisine des esclaves en matériaux périssables, elle ne se trouve pas en cet endroit.

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Plan du secteur 2.

© Stéphane Boulogne, Inrap

Les usines (secteur 4) : un patrimoine industriel en héritage

Depuis l’achèvement de la maison des maîtres en 1788, le domaine n’a fait que s’agrandir pour obtenir les « dimensions idéales » d’une exploitation sucrière. Avant d’être définie comme telle en 1824-1825, la production est plus diversifiée, comportant des plantations de café et de coton, associées à des cultures vivrières. Les contextes économiques et environnementaux ont favorisé cette orientation sucrière et ce jusqu’en 1918 lors de la fermeture définitive de l’usine au profit de celle de l’Éperon et de son abandon total en 1920.

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Vue générale du secteur 4 après décapage.

 © Julien Rigoli, DroneTech

Fouillés sur une surface de 7600m² dont 900m² de bâti, les vestiges en élévation des usines portent la trace des nombreux aménagements, réaménagements et innovations techniques améliorant sans cesse le rendement de l’usine sucrière. Ils font présentement l’objet d’une étude du bâti, qui s’appuie sur des relevés photogrammétriques. Lors de la fouille sédimentaire, parmi les nombreux vestiges mis au jour, des ruines de bâtiments ont été découverts. L’un d’eux, situé à l’ouest des vestiges en élévation, semble correspondre à un premier état de purgerie liée à la première usine sucrière (celle de 1824-1825). Sous ce bâtiment, des traces d’installations plus anciennes sont apparentes. Des trous de poteaux et fosses évoquent la présence de construction en bois. Au centre de l’emprise, une structure maçonnée circulaire, qui pourrait être un moulin pressoir de canne à sucre, serait en lien avec les vestiges situés à l’est, peut-être en rapport avec une première usine. Au sud de l’emprise, la fouille a révélé deux bâtiments inédits équipés de varangue, construits successivement. De grande superficie et à la mise en œuvre soignée, leur fonction nous est encore inconnue, même si l’un d’eux pourrait être un hangar à bagasse (résidu des tiges de canne à sucre dont on a extrait le jus).

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Vue phototogrammétrique des deux grands bâtiments à varangue situés au sud de l’emprise.

© Nicolas Parizeau-Philion, Inrap

Toutes ces nouvelles données archéologiques couplées aux études historiques et documentaires permettent d’accroître les connaissances et la compréhension de ce fascinant domaine sucrier. Elles seront transmises au public grâce à la nouvelle muséologie prévue par l’évolution du projet, qui intégrera une valorisation des données archéologiques, compte-tenu de l’intérêt majeur de ces vestiges dans l’histoire de La Réunion. À signaler également une collaboration artistique avec Dolce Cartolina dans le cadre d'une série de campagnes photographiques commandées par la Direction des affaires Culturelles de la Réunion.

* Xavier Le Terrier, « Evolution de la sucrerie de Saint-Gilles les Hauts à travers les archives de la famille Desbassyns/ De Villèle (1824- 1918) », Rapport réalisé pour le Musée Villèle et le Conseil Départemental de la Réunion, Mars 2021.

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Vue du nettoyage intérieur des usines.

© Fouille archéologique Inrap 2022-2023, Session 4. 4 / réalisée par Eliza et Luca Giussani pour Dolce Cartolina & Dolce Cartolina Drone / @dolcecartolina - www.dcvisuals.fr 

Aménagement : Département de La Réunion
Recherches archéologiques : Inrap
Prescription et contrôle scientifique : Service régional de l’Archéologie, Dac de La Réunion
Responsable scientifique : Lucie Amami, Inrap