Au large des côtes guyanaises, l'Inrap a mis au jour des structures du camp de la Réclusion du bagne de l’île Saint-Joseph, la plus au sud des trois îles du Salut.

Dernière modification
19 janvier 2021

A l'occasion de l'aménagement d’une passerelle d’observation panoramique par le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), l'Inrap a mené une opération d'archéologie préventive au cœur du camp de la Réclusion du bagne de l’île Saint-Joseph, la plus au sud des trois îles du Salut, au large des côtes guyanaises. L’opération a permis de documenter des zones mal connues du camp et de mettre en avant, entre autres choses, la problématique de gestion de l’eau au sein du site carcéral.
 

La « guillotine sèche »

L’occupation humaine des îles du Salut est attestée dès la période précolombienne, comme l'ont démontré de nombreux polissoirs et des roches gravées. Au XVIIIe siècle, les colons européens signalent l’archipel comme un lieu de pêche et de refuge des populations autochtones. Les premières mentions des îles n’apparaissent qu’au XVIIe siècle sous les noms d’« îles du Diable », « îlets du Diable » ou « îles du Triangle », réputées pour la dangerosité de leurs eaux.
Pendant la période coloniale, les îles sont souvent utilisées par les navires européens qui assurent le ravitaillement le long de la côte. Les survivants de la désastreuse expédition de Kourou voulue par Louis XV et le duc de Choiseul y trouvent refuge entre mars et décembre 1764. Les îles porteront à partir de cette date les nom d’îles du Salut.
À partir de 1852, avec l’instauration de la Transportation et du bagne de Guyane sous Napoléon III, les aménagements successifs des établissements pénitenciers modifient considérablement le paysage de l’archipel. L’île Saint-Joseph se destine dans un premier temps à la détention des opposants de Louis Napoléon Bonaparte, avant de regrouper les récidivistes et les évadés.

Corridor donnant accès au troisième bloc de cellules construit à partir de 1913.

Corridor donnant accès au troisième bloc de cellules construit à partir de 1913.

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 A. Coulaud, Inrap


Le quartier pénitentiaire de Saint-Joseph est construit entre 1897 et 1906 sur le plateau de l’île puis agrandi à partir de 1913. Le camp de la Réclusion est d’abord constitué de deux grands bâtiments rectangulaires accueillant dortoirs et cellules intercalés par des cours et préaux ceints par un important mur d’enceinte. Le complexe est agrandi à partir de 1913 sur le même modèle. Ces bâtiments à structure métallique de type doubles parois, sont préfabriqués en métropole et expédiés en Guyane. Le régime de la réclusion cellulaire, également appelé « guillotine sèche », est appliqué avec une très grande dureté jusqu’en 1925. La loi prévoyait l’enfermement cellulaire jour et nuit, dans un isolement total et un silence absolu. Les cellules ne disposaient pas de plafond, ce qui permettait une surveillance constante par le biais d’un chemin de ronde situé au-dessus des cellules. Plusieurs bâtiments accueillant des logements et communs pour les surveillants sont construits à proximité directe du camp.
L’île accueille également le cimetière dit des « surveillants » sur la côte nord de l’île ainsi que de nombreux chemins dont certains, pavés, permettent l’accès aux différents secteurs. En 1938, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, un décret-loi du gouvernement Daladier met fin au régime de la transportation mais qui n’aboutira à la fermeture du bagne qu’en 1946 et au rapatriement des derniers condamnés en 1953 vers la métropole.


DE NOUVELLES DONNÉES SUR LE CAMP DE LA RÉCLUSION

Les particularités topographiques du site et son éloignement ont nécessité l’apport,  via une barge de débarquement, d’une mini-pelle hydraulique de 1.5t et de matériel afin de pouvoir gravir les rampes d’accès de l’île (parfois exiguës et encombrées de racines), atteindre le plateau et évoluer évoluer au sein du camp de la Réclusion. Deux sondages quadrangulaires dans chacune des deux cours accueillant la future passerelle d’observation ont permis la détection de plusieurs structures dans la terre végétale au sein de chaque cour qui ont fait l’objet d’un relevé topographique détaillé.

L’opération, malgré sa petite taille, a permis de documenter deux des cours du camp de la Réclusion et de mettre au jour de nombreuses structures liées à la gestion des eaux pluviales sur le site, à leur récupération via les importantes surfaces de couverture des bâtiments, à leur évacuation jusqu’aux imposants murs d’enceinte par le biais de caniveaux en roches métamorphiques ou en briques, ou à leur récupération au sein de puits maçonnés en briques.

Deux escaliers ont été détectés donnant accès à une vaste zone accueillant des structures ovales en pierres sèches, interprétées comme des parterres de culture, hypothèse corroborée par la présence du bâtiment des cuisines qui a également été étudié. Dans son premier état, ce bâtiment servant aux cuisines et raccordé à un système d'évacuations des eaux usées se caractérisait par un toit à un seul pan, porté par des pilastres en briques et par de vastes ouvertures. Dans un second état, le bâtiment supportait une toiture à deux pans surélevé et était percé de baies plus étroites interprétées comme des portes ainsi que de plusieurs fenêtres dotées de grilles en fer. Ce second état laisse supposer un réaménagement du bâtiment en plusieurs cellules.

L’opération n’a livré que très peu de mobilier archéologique à cause du nettoyage systématique opéré dans l’enceinte du camp tant pour l’hygiène que pour la sécurité. Seuls des fragments de ferrures et pentures de portes en fer découverts groupés lors du démontage du site et quelques tessons de céramique précolombienne ont pu être mis au jour.

Relevé photogrammétrique de la façade ouest du bâtiment des cuisines et relevé architectural commenté

Relevé photogrammétrique de la façade ouest du bâtiment des cuisines et relevé architectural commenté

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A. Coulaud, C. Bioul, Inrap

Aménagement : Centre National d’Etudes Spatiales (CNES)
Recherches archéologiques : Inrap
Responsable scientifique : Alexandre Coulaud (Inrap)