Dans le cadre de la saison « Antiquité » de l'Inrap, Romy Wyche, directrice du musée départemental Arles Antique, et Cyrille Le Forestier, archéo-anthropologue à l'Inrap, mettent en lumière les différences entre les sarcophages antiques en pierre taillée, largement réemployés, du sud de la France, et les sarcophages moulés en plâtre du haut Moyen Âge en Île-de-France. 

Dernière modification
26 octobre 2023

D’où proviennent les sarcophages qui sont rassemblés au musée départemental Arles-Antique ?

Romy WYCHE : La grande majorité des sarcophages provient de deux sites d’Arles : des Alyscamps, l’une des plus grandes nécropoles du monde romain, et du cimetière de Trinquetaille, sur la rive droite de la ville. Il y en certains qui viennent de quelques sites isolés et d’autres dont on ignore complètement la provenance. Cela s’explique d’une part par le fait que les sarcophages sont des objets très mobiles dans le monde romain, car souvent remployés à cause de la qualité du marbre et de la beauté de la décoration ; d’autre part, par le fait que leur accession aux collections publiques s’est faite d’abord pour en permettre la présentation en tant qu’objet patrimonial, sans se préoccuper du contexte de provenance. C’est en effet à Arles que s’est ouvert en 1785 le premier musée public, pour réunir et montrer dans un même lieu les antiquités arlésiennes.  Mais en termes de contexte archéologique, nous avons forcément perdu beaucoup d’informations. Dans des cas très rares, ce contexte existe comme à Trinquetaille, où nous avons mis au jour un hypogée avec trois sarcophages à l’intérieur.


Quand le contexte archéologique existe, que trouve-t-on dans le sarcophage ?

Cyrille Le FORESTIER : Fonctionnant comme des caveaux familiaux ou communautaires, beaucoup de sarcophages d’Île-de-France de la fin de l’époque paléochrétienne et du début du Moyen Âge  sont conçus pour favoriser intentionnellement la décomposition des chairs :  l’oxygène et l’eau qui stagnent au fond de la cuve en plâtre accélèrent le processus de dissolution des masses molles, et le sarcophage devient plus rapidement disponible pour y déposer un nouveau défunt. C’est le système du « turnover » ! Mais lors de la fouille, on ne retrouve pas forcément tous les ossements des défunts précédents. Par exemple, dans la basilique de Saint-Denis (93), nous avons mis au jour des sarcophages riches en mobilier, avec des plaques-boucles, des gobelets en verre, des couteaux, des chaînettes, mais, malheureusement très pauvres en restes humains – parfois réduits à quelques restes dentaires.

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Au sein des sarcophages, les ossements se conservent très mal. C’est le cas ici où seul un élément de la calotte crânienne est présent sur le fond de la cuve (Noisy-le-Grand). 

© C. Le Forestier, Inrap.


À l’inverse, au cours du VIIIe siècle, lorsqu'il n'y aura plus de nouveaux défunts dans le sarcophage, , ce dernier est remblayé de terre et ne sera donc plus rouvert. Dans ce cas, ce milieu clos va empêcher la dissolution des ossements, par absence d’oxygène. Le squelette sera donc bien conservé et propre à l'étude. 

Dans certains sarcophages, nous retrouvons des ossements qui ont été « réduits », une pratique consistant à repousser les os des occupants précédents pour pouvoir y déposer le nouveau défunt. Les ossements peuvent être repoussés vers les parois latérales, ou bien vers les parois de pied ou de tête. Certaines réductions sont faites vers l’extérieur : on opère un petit trou à l’extérieur de la cuve pour en évacuer les os et les placer dans un « mini ossuaire » contre la paroi externe du sarcophage. Ainsi, dans le creusement autour du sarcophage, l’on retrouve parfois jusqu’à 10 ou 15 individus réduits de la sorte.

À Saint-Denis, nous avons fouillé une grande variété de sépultures, plus ou moins riches en mobilier et avec une conservation osseuse différentielle. Il y a aussi le cas, rarement observé dans les sarcophages en plâtre d’Île-de-France, de deux individus déposés l’un sur l’autre, de manière successive et non simultanée comme le montre la position des os. Dans le cas d’un dépôt simultané, les os du sujet supérieur auraient migré vers le fond. Nous retrouvons également des traces de pillage, repérable par une perforation de la cuve (sur le dessus ou sur le côté). Nous le voyons généralement dans les tombes bien conservées : la main du pilleur a bousculé le bassin, les vertèbres lombaires et le sacrum, alors que le reste est bien resté en place.

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Le couvercle en bâtière de cette cuve de la fin de l’Antiquité (sarcophage en calcaire de gauche) présente une perforation correspondant à un acte de pillage (Bondy).

©  J. Millereux-Le Bechennec, CD93.

Ces sarcophages sont-ils des sépultures collectives ?

Cyrille Le FORESTIER : Oui, en quelque sorte ! En archéologie, le terme de « sépulture collective » est plutôt réservé aux sépultures du Néolithique, mais de fait c’est bien l’idée : un sarcophage peut accueillir une famille ou une communauté. À Saint-Denis, des études paléogénomiques devraient nous informer sur les liens qui unissent les gens dans un même sarcophage. Nous avons tendance à penser que ces sépultures sont familiales, mais c’est peut-être une affaire plus pragmatique, laissée à la discrétion du fossoyeur de la communauté qui sait où il y a un emplacement libre dans un sarcophage à un endroit de la nécropole. 

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Sarcophage en plâtre contenant de nombreux ossements en réduction, regroupés à l’extrémité est de la cuve (Noisy-le-Grand).

© C. Le Forestier, Inrap.


Les sarcophages qui sont exposés au musée ont-ils souvent été réemployés ?

Romy WYCHE : Il y a eu énormément de réemplois, mais nous ne connaissons pas leur chronologie : nous ne voyons que la « dernière utilisation ». Dans le cas rare du sarcophage de Phèdre et Hippolyte nous disposons par exemple d’une trace iconographique qui permet d’en reconstituer l’histoire . C’est un sarcophage du milieu du IIIe siècle qui a été réemployé plus tardivement. Le couvercle, en forme de lit, a alors été transformé : là où à l’origine s’allongeait un couple, à la manière des tombeaux étrusques, n’a été gardée que la représentation de la femme, mais elle a été transformée en homme.

Le remploi soulève aussi d’autres questions de fond, tant pour l’archéologie que pour l’histoire de l’art. On se confronte par exemple au paradoxe qui se crée entre la personnalisation très forte du sarcophage et sa vocation à être réemployé X fois. L’épigraphie et l’iconographie sont parfois choisies en fonction du défunt, pour lui ressembler, mais que se passe-t-il quand il est remployé ? On se retrouve, plus globalement, devant la question du glissement de signification du programme iconographique original, qui est réinterprété et réinvesti au fur et à mesure que le sarcophage est remployé.

Par exemple, sur le sarcophage dit « de Prométhée », qui date de 240 après J.-C., se trouvent sculptés le portrait d’une défunte et une riche iconographie prométhéenne réalisée pour elle, mais il a pu être réemployé pour servir de tombe à Saint-Hilaire, évêque très important pour Arles, au Ve siècle . La représentation sculptée a pu être relue en fonction du nouvel occupant.

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 Sarcophage dit de Prométhée, Marbre, 2e quart du IIIe s. apr. J.-C., D.2021.1, Musée départemental Arles antique.

© Rémi Benali

On peut citer aussi le sarcophage de Marie-Madeleine à Saint-Maximin. Il s’agit d’un sarcophage antique du IVe siècle, trouvé en 1279  par Charles de Salerne et identifié comme le véritable sarcophage de Marie-Madeleine. Tout un culte s’est aussitôt créé autour de lui, au point que des pèlerins médiévaux, en le croyant la sépulture de la sainte, en ont enlevé et emporté des morceaux.

Le sarcophage de Marie-Madeleine est resté depuis dans la crypte de Saint-Maximin où il garde sa valeur liturgique, tout comme le sarcophage « de Prométhée » reste lié à l’évêque Saint Hilaire plutôt qu’à la femme pour laquelle il avait été conçu. Que doit faire le musée ? Doit-il désacraliser et sortir de leur contexte ces objets devenus liturgiques ? Le réemploi pose ces questions.

Dans d’autre cas, le remploi permet d'afficher un positionnement idéologique ou culturel. Afficher la continuité avec l’Antiquité est à l’origine de certains remplois, comme par exemple la cuve de sarcophage paléochrétien qui a été placée au-dessus de la porte d’entrée du monastère de Saint-Sernin. Dans ce cas, c’est pour marquer une continuité avec  l’Antiquité et notamment avec Honorat (IVe-Ve s.), supposé avoir fondé le monastère. Charlemagne lui-même se serait fait enterrer dans un sarcophage romain.

D’autres cas sont plus énigmatiques. Je pense au sarcophage antique décoré avec des scènes de chasse, un registre typiquement masculin, alors qu’il s’est révélé contenir les restes d’une femme avec son nouveau-né. On peut s’imaginer que ce beau sarcophage était disponible au moment de cette mort non planifiée. Cela contredit l’idée selon laquelle le sarcophage refléterait le défunt, mais il faut dire aussi que l’étude du sexe de l’individu a été faite dans les années 70 à partir de méthodes très incertaines. Ce sarcophage mériterait d’être réétudié.

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 Sarcophage de la chasse à courre au sanglier et aux cerfs, Marbre de Proconnèse, 1er quart du IVe s. apr. J.-C., PAP.74.00.3, Musée départemental Arles antique.

© Rémi Benali 

Quand apparaît le sarcophage ?

Cyrille Le FORESTIER : Tout dépend de ce que l’on appelle réellement sarcophage. Il y a un très grand nombre de variantes de forme et d’usage au fil du temps et selon les régions. Il y a des sarcophages chez les babyloniens, les égyptiens, les étrusques… En Gaule, les premiers sarcophages de type romain apparaissent seulement vers le Ier et IIe siècle après J.-C., la crémation ayant prédominé jusqu’alors. Ces sarcophages en pierre, parfois richement décorés, sont posés sur un sol et présentés au regard de la population. Au Ve siècle, les sarcophages sont enfouis sous terre et comportent donc moins de décorations. Dès le VIe siècle, ils vont remonter à la surface, avec de nouvelles techniques de fabrication en plâtre ou en pierre. Ils sont beaucoup plus hauts que les précédents et comportent un couvercle que l’on va pouvoir rouvrir pour un usage collectif. Au début du haut Moyen Âge, Isidore de Séville se réfère au sarcophage « mangeur de chairs », où l’on va déposer plusieurs personnes…

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Sarcophage en pierre monolithe contenant les restes d’un individu (Bondy). 

© C. Le Forestier, Inrap.

 

N’y a-t-il pas contradiction entre le riche programme décoratif du sarcophage et le fait que celui-ci soit enterré ou même à demi enterré et soustrait du regard ?

Romy WYCHE : Nous sommes très influencés par la façon dont nous présentons les sarcophages aujourd’hui. Au musée, les sarcophages se trouvent alignés, pour évoquer leur disposition dans le premier musée archéologique public de 1784, mais cela n’est pas représentatif de la façon dont ils étaient présentés dans l’Antiquité.

Les sarcophages romains étaient faits pour être vus, même si parfois ils étaient dans des hypogées fermés que l’on ouvrait ponctuellement, à l’occasion des nombreuses cérémonies. Par rapport à l’idée de sommeil éternel qu’évoquent certains textes, faire une tombe majestueuse semble assez logique, même si cette tombe n’est pas toujours visible. C’est la dernière demeure, c’est intime. Pourquoi ne pas faire un sarcophage qui soit absolument magnifique, même s’il n’est pas visible de tous ? On le voit bien aujourd’hui : une mort survient et une famille décide d’acheter le plus beau cercueil possible en hommage au défunt, même si ce cercueil ne sera plus jamais vu.

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Sarcophage dit de Prométhée, Marbre, 2e quart du IIIe s. apr. J.-C., D.2021.1, Musée départemental Arles antique.

© Rémi Benali


Cyrille Le FORESTIER : Le décor n’est pas forcément toujours visible. C’est une question encore sans réponses !  En Île-de-France il y a des cas de décors en plâtre, à l’intérieur du sarcophage et non à l’extérieur, ce qui implique une intimité entre le décor et le sujet inhumé. Cela peut être un décor personnel mais non individualisé, choisi par le défunt, pour le salut de son âme : un chrisme, une croix pattée ou une colombe pour accompagner le défunt vers la mort et l’aider à gagner le paradis par exemple. À Saint-Denis, nous retrouvons sur les sarcophages les mêmes styles de décor que ceux des plaques-boucles qui étaient également moulées : des décors de croix, de tête hirsute du Christ avec une grande barbe et de petits yeux ! Tout est très stylisé !

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Décor circulaire et chrisme se situant à l’intérieur de la cuve (Saint-Denis). 

© E. Jacquot, Bureau de Patrimoine Archéologique de Seine-Saint-Denis.

Par ailleurs, rien ne nous dit que les sarcophages que nous retrouvons enfouis dans le sol, l’étaient lors de leur première utilisation. Peut-être, un premier défunt a-t-il commandé un sarcophage visible de tout le monde. Peut-être, y avait-il une temporalité du deuil, le sarcophage étant laissé visible pendant plusieurs mois avant d’être enfoui. Peut-être, était-il visible pour le premier défunt et qu’après, lors d’un réemploi, une quinzaine ou une trentaine d’années après, il a été enfoui, parce que c’est devenu la tradition à un moment donné. Nous savons que l’utilisation de ces sarcophages a beaucoup évolué entre ler-IIe et le VIIe siècles mais nous avons encore beaucoup à apprendre sur ces pratiques.

Comment ces sarcophages étaient-ils fabriqués ?

Romy WYCHE : Rappelons avant tout que ces sarcophages étaient réservés à une classe sociale très élevée et qu’ils ne sont pas représentatifs de la société romaine dans son ensemble. Cela est bien indiqué par la chaîne opératoire. Dans un premier temps, il fallait trouver le marbre, puis passer une commande à un atelier, souvent à Rome. Les programmes iconographiques nous permettent dans certains cas d’identifier l’atelier qui a produit le sarcophage. Puis, celui-ci était acheminé vers sa destination finale, dans notre cas vers Arles. Certains de nos sarcophages sont anépigraphes (=sans inscriptions) ou bien les visages ne sont pas terminés, parce que ces finitions étaient souvent faites tout à la fin, dès réception du sarcophage, selon son emploi. Soit ils n’avaient pas eu le temps de faire l’épigraphie parce que le défunt était mort trop tôt, soit ce n’était pas nécessairement prévu, de même pour le visage. Cela dépendait aussi du degré attendu de finition du sarcophage. Il existe un cas, celui du sarcophage de Concordius, où il est clairement écrit que c’est la famille qui a choisi et commandé l’ouvrage, mais en général nous ignorons si c’est la personne en tant que telle qui a commandé son propre sarcophage en prévision de sa mort ou si c’est sa famille.

Et quelle était la chaîne de fabrication des sarcophages franciliens ?

Cyrille Le FORESTIER : Le cas des sarcophages en plâtre est particulier à l’Île-de-France, où il existe des bancs de gypse au nord au nord-est, de Cormeilles-en-Parisis (95) jusqu’à Vaujours (93). Le plâtre est obtenu à partir de blocs de gypse saccharoïde (il a en effet un aspect de sucre) qui sont brûlés dans des fours, probablement aériens car nous n’avons pas retrouvé leurs traces. Ces blocs sont ensuite concassés et réduits en fine poudre qui, mélangée à l’eau, donne du plâtre. La technique est facile et connue dans le monde romain depuis le IIe siècle avant J.-C. Elle apparaît dans le monde funéraire au Ve siècle, alors que sont en usage des sarcophages en pierre, souvent des remplois de bâtiments antiques. Ces cuves en pierre calcaire (généralement issue des lambourdes de l’Oise), pas forcément très résistante, présentent donc peu de décors sculptés. Tel n’est pas le cas des sarcophages en pierre de Bourgogne des nécropoles parisiennes et de Saint-Denis, comme celui la reine Arégonde, inhumée avec tout son mobilier, et construit pour elle-seule, sans réemploi.

Pour ce qui est de la mise en œuvre des sarcophages en plâtre, la technique est assez simple. Elle consiste à couler en plusieurs étapes le mélange de poudre de gypse et d’eau dans un assemblage de deux moules de cuve en bois, l’un externe et l’autre interne. Il semble exister plusieurs façons d’assembler les deux moules et l’archéologie permet de voir les techniques en usage. Lorsque nous en avons terminé avec l’étude du squelette dans le sarcophage, qui est enlevé et mis en sac, nous démontons la cuve pour observer les différentes étapes de la mise en œuvre. Si l'on casse les cuves avec une masse, on constate que les lignes de rupture correspondent aux différentes coulées de plâtre. Nous sacrifions les cuves en plâtre puisqu’il n’est pas possible de les prélever, elles se casserait en mille morceaux. Le démontage nous permet de comprendre le geste du plâtrier.

Dans les cimetières mérovingiens, et de la fin de l’époque antique, le ruissellement a eu pour conséquence d’éroder rapidement les cuves en plâtre qui sont donc très mal conservées, on parle d’érosions en « pain de sucre ». Nous n’allons donc prélever que les parois décorées, sur lesquelles il y a des motifs, en essayant de ne pas les casser, mais à l’inverse de ce qu’il y a ici à Arles, il n’y a pas du tout de scènes, de commandes individualisées, peu d’inscriptions, juste des motifs chrétiens. Il semble que les familles achetaient des sarcophages comme si l’on choisissait sur un catalogue. Pour l’anecdote, nous avons retrouvons au sein de la nécropole de Noisy-le-Grand (93), un décor de sarcophage qui a été moulé à l’envers. L’ouvrier s’est vraisemblablement trompé en assemblant les éléments de bois du moule externe.

Une fois le sarcophage coulé et démoulé, il pèse environ 500 kg (400 kg pour la cuve et 100 pour le couvercle). Il est gorgé d’eau et nécessite de trois à quatre mois de temps de séchage, selon les données que nous avons récoltées par l’expérimentation. Cela implique donc une production prévue, qui a été anticipée. On ne peut donc pas commander un sarcophage pour un nouveau défunt du jour au lendemain. Nous ne savons pas si c’est l’atelier qui vient produire les sarcophages sur le site, dans le village, comme un rémouleur passerait de village en village pour aiguiser les couteaux, ou si le sarcophage est commandé à un atelier parisien ou dionysien puis livré sur le site. On imagine tout de même plus facilement un artisan venir avec ses sacs de gypse et ses planches de bois pour faire une série de sarcophages, qu’un transport dans une charrette sur des petites routes. La cuve en plâtre, assez fragile, n’aurait pas supporté un tel transport.

Si survient une mort et qu’il n’y a pas de sarcophage disponible dans le village ou dans la région, on aménage alors une fosse maçonnée qui ressemble, à s’y méprendre, à un sarcophage : un moule interne en bois est installé dans le creusement et un bourrage de pierres est placé entre la paroi du moule et le bord de fosse. Puis, le plâtre est coulé à l’intérieur. Cela fait illusion. On pourrait imaginer un hiatus chronologique, de statut, de sexe ou de richesse. Mais après l’étude du squelette et du mobilier, nous nous rendons compte qu’il n’y a pas de différences entre les sujets inhumés dans les sarcophages de plâtre et ceux inhumés dans des fosses maçonnées. C’est certainement une question plus pragmatique : il n’y a pas de cuve à acheter dans les environs, on va alors aménager une structure funéraire similaire à une cuve en plâtre.

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Fosse maçonnée dont l’aspect, la forme et les dimensions sont tout à fait similaires aux sarcophages de plâtre moulés en dehors de la fosse (Noisy-le-Grand).

© C. Le Forestier, Inrap

Peut-on retracer une évolution des décors ? Comment s’effectue la transition paganisme/christianisme ?

Romy WYCHE : La transition des sarcophages païens à chrétiens n’était pas aussi stricte qu’on le pense généralement. Dans les rares contextes archéologiques que nous connaissons, il arrive que nous trouvions des tombes païennes aux côtés de tombes chrétiennes, des réemplois chrétiens dans des tombes païennes. Cela veut dire que la société était beaucoup plus mélangée qu’on ne l’imagine.

Le sarcophage était aussi une affaire de statut, de message presque politique à faire passer. Beaucoup de sarcophages paléochrétiens ont été retrouvés à Arles, mais cela ne correspond pas nécessairement à la religion du défunt : Arles, était devenue une ville assez importante durant l’Antiquité tardive, comptant beaucoup de hauts fonctionnaires qui avaient certainement intérêt à montrer qu’ils étaient chrétiens.

En termes d’iconographie, l’évolution est bien visible. Les sarcophages païens sont décorés de cycles mythologiques, de scènes de théâtre particulièrement populaires, de scènes de chasse, de scènes bucoliques et de guirlandes sculptées. Les premiers sarcophages paléochrétiens montrent, quant à eux, surtout des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament : Jonas, le passage de la mer Rouge, le Christ entouré de ses apôtres…C’est un programme de « mythologie chrétienne » qui a été imaginé à la manière des sarcophages mythologiques païens, avec une narration. Cela va encore évoluer par la suite vers quelque chose de plus épuré et spirituel.

Et si on arrive en Île-de-France, le programme se réduit beaucoup.

Cyrille Le FORESTIER : Je pense qu’il y a une influence claire et nette de l’Empire romain dans tout le sud de la France que nous n’observons pas du tout dans la région parisienne, a fortiori parce que le plâtre que l’on trouve à Paris change complètement la donne. Je suis convaincu que le matériau interagit beaucoup plus qu’on ne le croit sur les modes funéraires. Le symbole le plus fréquent en Île-de-France est la colombe, peut-être parce qu’elle n’est pas difficile à sculpter sur un élément en bois. Il aurait peut-être été plus compliqué de sculpter la traversée de la mer Rouge sur ce même type de support ! À la différence du marbre qui est le matériau idéal. En fin de compte, peut-être le matériau et ses possibilités intrinsèques sont-ils déterminants, pour une population et une région données, dans les choix iconographiques et les modalités de réalisation des décors.

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Quelques colombes entourent un décor circulaire contenant une représentation du Christ (Saint-Denis).

© E. Jacquot, Bureau de Patrimoine Archéologique de Seine-Saint-Denis