Les grottes de Sterkfontein (Afrique du Sud) sont actuellement le site le plus riche en australopithèques au monde. Parmi les centaines de vestiges d’hominines anciens, le squelette de Little Foot « StW 573 » découvert dans les brèches du membre 2 de la grotte, est unique car quasiment complet et a fait l'objet d'hypothèses contradictoires. Dirigée par Laurent Bruxelles (auteur principal, Inrap), une étude stratigraphique et sédimentologique détaillée des brèches qui contenaient le fossile confirme la datation de ce dernier autour de 3,7 millions d'années.

Dernière modification
02 juillet 2019

Des hypothèses contradictoires


La datation récente de Little Foot, autour de 3,7 millions d’années, a suscité, un certain nombre d’échanges scientifiques depuis 2015. Ceci s’explique d’abord par l’intérêt du fossile : il s’agit du squelette d’australopithèque le plus complet jamais découvert puisque ce sont plus de 95% des ossement qui ont été rassemblés à ce jour. De plus, cette datation par la méthode des nucléides cosmogéniques a donné un coup de vieux à ce fossile. En dépit de la profondeur des dépôts dans laquelle il a été trouvé mais également de la morphologie quelque peu archaïque du squelette, une datation des planchers de calcite qui l’encadrent avait donnée une date de 2,2 millions d’années et était admise par la communauté scientifique. Mais, en 2014, un examen minutieux des planchers de calcite qui avaient permis cette datation a montré que ceux-ci étaient intrusifs et qu’ils s’étaient formés bien après la chute de Little Foot dans la grotte de Sterkfontein. A défaut de pouvoir dater le fossile directement, il fallait donc trouver un autre moyen de connaître son âge. L’analyse des blocs et cailloutis qui sont tombés en même temps que lui a alors été reprise par une équipe américaine et en 2015, elle révélait un âge de 3,67 millions d’années. Ces analyses, plus fiables que les précédentes, et basées sur un meilleur contrôle de la stratigraphie, fournissait alors un cadre chronologique beaucoup plus cohérent avec la profondeur des dépôts, la morphologie du squelette, les restes de faune associée mais également l’histoire de la grotte et du paysage alentour. 

Cependant, une démonstration scientifique se doit d’être testée, remise en question et étayée pour progressivement être établie. Ainsi, des théories ont été émises par d’autres chercheurs afin de remettre en cause cette datation. Certains d’entre eux ont imaginé un scénario un peu plus complexe pour justifier que Little Foot soit plus récent que la date annoncée. Au lieu que l’australopithèque soit simplement tombé dans un gouffre puis peu à peu recouvert par des cailloutis et de la terre provenant de la surface, à l’image d’un mille feuille, ils ont proposé que Little Foot s’était aventuré assez profondément dans une grotte. Peu familier avec le monde souterrain, il serait tombé dans un puits récemment ouvert au fond de celle-ci, emportant avec lui des sédiments anciens, présents dans la grotte depuis très longtemps. Ainsi, nous aurions daté ces sédiments, plus vieux que Little Foot de plusieurs centaines de milliers d’années, alors que l’imprudent australopithèque était en fait beaucoup plus récent.

 

L'histoire simple d'un fossile exceptionnel

C’est pour répondre à ces hypothèses contradictoires que nous avons alors repris l’étude détaillée de l’ensemble des dépôts sédimentaires qui englobent Little Foot. Il s’agit de la première étude de la totalité de la séquence, par une approche multi-méthode (géomorphologie, topographie, taphonomie, stratigraphie, sédimentologie,  micromorphologie…) et à des échelles différentes, depuis la coupe de plusieurs mètres de hauteur à l’observation infra-millimétrique au microscope. L’ensemble de ces analyses convergent pour indiquer que Little Foot est bien tombé depuis un gouffre directement ouvert à la verticale de la salle de Silberberg où il a été trouvé. Il a ensuite roulé sur le talus pour se stabiliser légèrement en contrebas. Puis, il a  été momifié avant d’être progressivement recouvert, dans sa position de mort, par de la terre et des cailloutis provenant de la surface. Une histoire assez simple finalement, pour un fossile exceptionnel, mais qu’aucun élément géologique ne permet de complexifier au point d’imaginer des scénarios en plusieurs étapes. Ce travail de stratigraphie constitue une référence dans les approches géoarchéologiques des sites en grotte.  C’est notamment sur cette base que sont actuellement reprises tous les autres formations sédimentaires de la grotte de Sterkfontein mais également celles d’une grande partie des sites du Cradle of Humankind.

Lire l'article complet (en anglais) de Laurent Bruxelles dans le numéro spécial consacré à Little Foot publié dans la revue Journal of Human Evolution.