Quatre dépôts monétaires des XIIe et XIVe siècles mis au jour par l’Inrap en 2021-2022 à Guérande ont fait l’objet d’une étude en laboratoire, à l’Université de Caen, impliquant de nombreux partenaires scientifiques. Des analyses d’imagerie 3D ont permis d’accéder au contenu de ces dépôts de manière non destructive et de mettre en place un protocole adapté pour leur démontage.

Dernière modification
02 février 2024

Un dépôt isolé (fin XIIe/début XIIIe s.) et une cache multiple (milieu XIVe s.)

Entre novembre 2021 et février 2022, une équipe de l’Inrap a mené une fouille préventive sur une surface de 3 146 m2 aux 17-21 Faubourg Saint-Michel à Guérande, en amont d’un projet immobilier. À une centaine de mètres de la porte Saint-Michel, au sein du faubourg qui se développe à l’est de l’enceinte médiévale de la ville, la parcelle étudiée borde en partie la rue du Faubourg Saint-Michel. Cette rue mène au centre de Guérande, une agglomération mentionnée dès le IXe siècle, et qui se dote d’une enceinte entre le XIIIe siècle et le XVe siècle. Prescrite par les services de l’État, la fouille a livré des vestiges protohistoriques et médiévaux. Un premier dépôt monétaire daté des années 1340 avait été découvert lors d’un diagnostic archéologique préalable, mené en 2021. Trois autres ont été décelés à proximité lors de la fouille, au moment du décapage.

Les recherches archéologiques indiquent qu’une occupation médiévale se développe à partir des XIIe-XIIIe siècles dans la zone située en front de rue. L’un des dépôts monétaires mis au jour semble associé à cette occupation : il s’agit d’un dépôt isolé datant des années 1180-1204, disposé dans un contenant en bois de chêne. Un bâtiment maçonné est ensuite construit au XIVe siècle.

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Le dépôt monétaire n°1 (dépôt isolé) avant prélèvement.

© Aurélie Raffin, Inrap

Les trois autres dépôts monétaires ont été retrouvés dans l’angle de l’une de ses pièces : déposés dans des poteries en céramique, il s’apparente à une cache multiple (ou « trésor multiple ») des années 1341-1342. L’état de conservation de ces différents dépôts était variable. Concernant la cache multiple, le dépôt le mieux conservé (dépôt no 4) a pu être prélevé sans endommagement lors de la fouille. Il était scellé par un couvercle formé d’un fond de pot retourné, brisé au niveau la panse et emboité sur le dessus d’un pichet brisé au niveau du col, réutilisé comme contenant. Les deux autres dépôts en contenant céramique se présentaient de la même manière, mais leurs couvercles ont été abimés lors du décapage. À la surface de l’un d’entre eux (dépôt no 2), des fragments de textile apparaissaient, en contact avec les monnaies. Le dépôt isolé, plus ancien d’un siècle et demi environ, a été prélevé en motte (c’est-à-dire en découpant une motte de terre autour de l’objet) pour conserver la cohésion de l’ensemble, compromise par la dégradation de son contenant en bois.

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Emplacement des dépôts monétaires de la cache multiple (dépôts n°2, 3 et 4).

© Edith Peytremann, Inrap

Après prélèvement, les quatre dépôts ont été transférés vers un centre de recherches, afin d’être étudiés par différents spécialistes. Avant de procéder à la fouille manuelle de ces dépôts, les chercheurs ont eu recours à différentes analyses d’imagerie 3D, dans une approche très innovante.

Scanner et tomodensitométrie dévoilent l’organisation interne des dépôts

Au sein d’un dépôt monétaire, les monnaies sont très rarement déposées en vrac et l’un des enjeux principaux est de comprendre comment et sous quelle forme leur répartition a été pensée. À l’image d’un site archéologique, il faut donc réussir à appréhender la stratigraphie du dépôt au fur et à mesure de sa fouille, alors que l’espace est souvent réduit, ce qui rend les choses plus complexes. Il est de ce fait difficile d’avoir une image globale du dépôt, puisqu’au fur et à mesure de la fouille, les monnaies sont prélevées par ensembles cohérents, en fonction des limites perçues.

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Vue 3D du dépôt n°4 après l’acquisition tomodensitométrique. Le logiciel permet de naviguer de façon transversale dans le dépôt selon des axes de référence.

© CETSO et Aurélie Raffin, Inrap.

Issue des techniques d’imagerie médicale, l’acquisition tomodensitométrique permet d’obtenir, à l’aide d’un scanner, une radiographie en deux puis en trois dimensions d’un objet et d’en réaliser une reconstruction 3D numérique. Elle apporte en outre des renseignements sur la densité des matériaux radiographiés et permet de les discriminer. Utilisée avec succès en archéo-anthropologie depuis quelques années pour l’étude et la fouille des urnes cinéraires, elle n’a presque jamais été appliquée à celle des dépôts monétaires, à l’exception de quelques rares découvertes en Europe.  L’opération de Guérande offre l’opportunité exceptionnelle de tester, comparer, questionner et analyser les résultats issus d’une acquisition tomodensitométrique sur quatre dépôts monétaires. Si les images mettent incontestablement en évidence une stratigraphie interne, avec des monnaies conditionnées par lots dans des sous-contenants souples, elles ont aussi permis de préciser la nature des matériaux contenus en fonction de leur densité. Celle des monnaies apparait plutôt homogène, ce qui laissait présager la présence majoritaire de billons (alliage de cuivre et d’argent), déjà identifié en surface des dépôts. De la matière moins dense, mais difficile à caractériser, était également présente autour des enveloppes de monnaies et un second sous-contenant en matière souple semblait englober l’ensemble des lots.

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Reconstruction numérique 3D du dépôt n°3 avec une colorisation des matériaux selon leur densité. En vert apparait la céramique, en gris les monnaies (billons) et en bleu un matériau moins dense, à l’état de sédiment. Ce dernier contraint les lots de monnaies contre la paroi de la céramique.

© S. Bédécarrats, Craham 2022

En amont de la fouille, cette technique d’imagerie non-destructive a livré une première vision globale de la structure interne des dépôts tout en conservant leur réalité matérielle. Elle a également facilité le dimensionnement et la mise en place d’un protocole d’étude et d’enregistrement adapté. Par exemple, l’identification de sous-contenants souples a permis d’anticiper l’intervention d’une spécialiste des matériaux organiques et de prévoir sa présence en tant qu’assistante experte pendant la fouille en laboratoire. Cette opération a été réalisée en sachant déjà qu’une répartition des monnaies avait été opérée, ce qui a permis une bonne restitution et une compréhension fine des limites entre les lots de monnaie, alors que ces dernières sont souvent complexes à mettre en évidence.

Photogrammétrie et numérisation 3D révèlent la présence de matériaux organiques

Une numérisation 3D par photogrammétrie (assemblage d’un grand nombre de photos prises sous différents angles) a également été réalisée lors de la fouille en laboratoire et a servi de support d’enregistrement. Après traitement des images, chacun des dépôts dispose de relevés numériques à l’échelle, exploitables en 2D, mais également en 3D.

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Vue zénithale et de profil après numérisation 3D par photogrammétrie des quatre dépôts monétaires avant leur fouille en laboratoire.

© Fabrique de Patrimoines en Normandie

La photogrammétrie s’est avérée particulièrement utile pour l’enregistrement du dépôt le plus complet (dépôt n°4) dont l’état de conservation des matières organiques était remarquable. Des carrés de tissu en lin, en grande partie minéralisés au contact des monnaies, ont servi d’enveloppes pour trier les monnaies en quatre lots à l’intérieur du dépôt, le tout étant rassemblé dans une plus grande enveloppe en cuir. Son état de décomposition était assez avancé, mais sa présence a pu être confirmée par une analyse structurale (spectroscopie infra-rouge). Avant de retirer le textile conservé autour des monnaies de chacun des lots, celui-ci a été numérisé en 3D par photogrammétrie afin de conserver le positionnement originel du textile autour des monnaies.

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Vue de détail de l’intérieur du dépôt n°4 avec l’une des enveloppes de monnaie qui apparait en partie supérieure. Le tout est englobé dans un sédiment très organique identifié comme du cuir après analyse structurale par spectroscopie infra-rouge.

© A. Cazin, Fabrique de Patrimoines en Normandie

Reconstitutions 3D (cliquer sur les liens)

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Reconstitution 3D du dépôt n°3 par photogrammétrie avant la fouille


 

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Reconstitution 3D du dépôt n°3 par photogrammétrie en cours de fouille


 

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Reconstitution 3D du dépôt n°3 par photogrammétrie à la fin de la fouille


 

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Reconstitution 3D du dépôt n°2 permettant d’observer les textiles


 


 

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Reconstitution 3D du dépôt n°2 permettant d’observer les monnaies 

 


Une approche interdisciplinaire originale

In fine, la découverte de ces quatre dépôts en contexte d’archéologie préventive a constitué une occasion de réunir une équipe pluridisciplinaire et de recourir à l’utilisation de techniques d’imagerie 3D afin d’approcher le plus finement possible la ou les logiques de thésaurisation mises en œuvre lors de la constitution des dépôts. Ces techniques se sont révélées précieuses pour comprendre l’organisation des dépôts, mais ne se sont pas substituées à une fouille stratigraphique minutieuse par des techniques manuelles classiques.  Cette opération a eu lieu en laboratoire, au sein du service de numismatique du CRAHAM (Université de Caen Normandie / CNRS). Au total, les quatre dépôts ont livré plus de 2000 monnaies : elles seront identifiées au cours d’une étude archéo-numismatique qui visera aussi à comprendre les pratiques de thésaurisation et de gestion de l’argent domestique à cette époque. Les études sur les matériaux organiques se poursuivent également en parallèle.

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Le dépôt n°3 en cours de fouille au service de numismatique du CRAHAM.

©Th. Cardon, CNRS-Craham

L’étude des dépôts monétaires de Guérande  a été possible grâce à la mise en place d’une équipe pluridisciplinaire composée d’archéologues de l’Inrap (Aurélie Raffin, Edith Peytremann), d’archéo-numismates (Thibault Cardon CNRS-CRAHAM, Vincent Borrel contractuel CRAHAM), mais également de spécialistes des matériaux organiques pour les textiles (Véronique Gendrot, SRA Bretagne), le bois (Véronique Guitton, xylologue Inrap) et le cuir (Gwenaël Lemoine, Charlène Pelé-Meziani, laboratoire Arc’Antique). L’assistance par l’imagerie 3D a nécessité de réunir d’autres compétences. L’acquisition tomodensitométrique a été réalisée par le CETSO (Centre d’étude tomoscanner de l’Ouest), les prises de vue et le traitement des données pour la photogrammétrie ont été réalisés par Antoine Cazin de la Fabrique de Patrimoines en Normandie pour les dépôts monétaires de la fouille, et par Carl Colonnier du laboratoire Arc’Antique pour celui du diagnostic.