À La Rochelle, dans le cadre d'un projet d'aménagement d’un centre socio-culturel et d’espaces paysagers, l'Inrap a mis au jour une partie du cimetière paroissial médiéval et moderne de Cougnes, les vestiges d'une voirie inédite en marge du fossé médiéval, ainsi que des structures de fortifications d’époque moderne dont un bastion érigé à la fin du XVIe siècle.

Dernière modification
09 juin 2023

Les données documentaires et le diagnostic archéologique réalisé en 2003 (Nibodeau, 2003) confirment la présence de nombreux vestiges sur ce secteur de la ville occupé par un vaste cimetière depuis le XIIe siècle jusqu’au XVIIIe siècle. Le contexte lié à la fondation précoce de la paroisse et son maintien jusqu’au début du XIIIe siècle en dehors de l’enceinte de la ville sont autant de questions essentielles et peu documentées. À la fin du XVIe siècle, le développement d’une nouvelle enceinte bastionnée puis son démantèlement rapide au sortir du siège de la ville en 1630 participent au remodelage complet de l’occupation des franges de la ville dont les effets demeurent méconnus. Les données issues de la fouille archéologique devaient donc permettre de répondre en partie à ces problématiques importantes pour la compréhension du développement de la ville de La Rochelle.

Malgré une situation géographique favorable, la première mention de La Rochelle (Rochella) n’apparaît qu’à la fin du Xe siècle dans une charte de l’abbaye Saint-Cyprien de Poitiers (998-1000). La forme de cette première occupation n’a pas pu être identifiée au même titre que celle du site de Cougnes qui concerne la fouille archéologique. Les marais ceinturant les lieux représentaient autant de conditions favorables au développement de salines ou pêcheries qui participèrent probablement à l’installation vers 1077 d’un prieuré clunisien dédié à Sainte-Marie.

Un cimetière médiéval

Une petite communauté de moines débarqués depuis l’île d’Aix participait à l’entretien du lieu. La chapelle devient au début du XIIe siècle le siège d’une première paroisse située, toutefois, en dehors de la première enceinte de la ville édifiée vers 1160-70. Le cimetière y était alors attenant. Plus d’une centaine de sépultures, toutes orientées est-ouest, ont été découvertes. Les fosses entament systématiquement le substrat calcaire. Elles sont, pour certaines, pourvues de quelques aménagements pour y déposer notamment une couverture en planches de bois.
Le développement du cimetière est toutefois contraint au nord par un fossé peu profond (environ 1 m) qui semble participer à sa clôture.

Le déplacement du cimetière et le développement d’une voirie « périphérique »

La ville est érigée en commune le 2 février 1175 et connaît une véritable explosion démographique. L’enceinte est alors agrandie vers la fin du XIIe-début XIIIe siècle avec l’intégration du quartier inhérent à la paroisse Notre-Dame de Cougnes. Un fossé complète le dispositif défensif de cette enceinte. Repéré au cours du diagnostic archéologique (Nibodeau 2003), sa largeur semble atteindre près d’une trentaine de mètres. Il est creusé au détriment du cimetière qui s’étend vers l’est, au-delà de la porte de Cougnes, à plus de 200 m de l’église. La réalisation récente de deux fouilles (Gissinger 2013 ; Guillimin 2016) a permis de documenter une partie de ce vaste cimetière.

Cette modification considérable des abords de l’église s’accompagne de l’aménagement d’une voirie. D’abord située en confrontation de la contrescarpe du fossé d’enceinte, son tracé est repris, dans un second temps, et délimité de part et d’autre par des murets parementés de moellons.

Cougne 7

Voierie médiévale (deuxième état) aménagée au détriment du cimetière médiéval de Notre-Dame de Cougnes à La Rochelle (Charente-Maritime) et développée en marge de la contrescarpe du fossé médiéval. Elle est délimitée au sud par un muret. Des ornières s’y distinguent très nettement. Le muret nord correspond au dernier état d’aménagement de la voirie (non visible sur le cliché)

© Pierre Texier, Inrap

Au nord, l’étroit fossé du cimetière est supplanté par un creusement plus considérable, mais très irrégulier et interrompu. Les profondeurs atteignent près de 3,50 m pour une largeur de 6 m. L’interruption suggère un franchissement d’autant que la voirie s’élargit sensiblement à ce niveau. Cette disposition est reprise vers la fin du Moyen Âge. La voirie galetée est élargie et à nouveau délimitée au nord par deux fossés interrompus.
Cet aménagement établi aux marges de la ville constitue un ensemble original et inédit alliant circulation et clôture de l’espace urbain et de son enceinte.

Cougne 10

Aperçu du fossé interrompu situé au nord de la voirie. Ce dernier a probablement été utilisé comme carrière de pierres.

 © E. Barbier, Inrap


Une nouvelle enceinte rapidement démantelée

La configuration des lieux ne semble pas subir de modifications majeures jusqu’aux guerres de religion. Au sortir des conflits, les Rochelais entreprennent la construction d’une nouvelle enceinte plus étendue et adaptée à l’évolution de l’artillerie. Le bastion de Cougnes, édifié au nord du cimetière, est achevé dès 1596. Il est toutefois repris en 1611 suite à une modification du projet. La fouille a permis de documenter cette reprise préservée au niveau de la pointe du bastion appareillée en pierres de taille au contraire du reste de l’élévation montée en moellons liés à un abondant mortier de chaux.

Cougne 8

Angle du bastion préservé au fond du fossé d’enceinte.

© E. Barbier, Inrap


Le démantèlement rapide des fortifications imposé par Louis XIII au sortir du siège de La Rochelle (1628-29), s’est accompagné d’un minage systématique de l’enceinte. L’ensemble de l’élévation du bastion a donc basculé dans le fond du fossé sans récupération préalable des éléments architecturaux. Si le cadre de l’opération archéologique n’a pas permis une lecture exhaustive de ces pièces effondrées, quelques vestiges lapidaires installés au niveau des parties saillantes du bastion ont été découverts. Ces derniers participaient notamment au support de l’échauguette qui devait coiffer la pointe.

Cougne 9

Fond du fossé, avec vestiges de l'élévation du bastion.

© Inrap

Le « retour » du cimetière auprès de l’église

L’église est reconstruite à partir de 1650 au sortir des conflits de la Fronde qui se manifestent, sur le site, par le creusement d’un fossé censé limiter l’approche. Le cimetière est de nouveau installé au nord de l’église.
 

Cougne 6

Aperçu des fosses sépulcrales du cimetière de la période moderne (1630-1794) installées au détriment des voiries découvertes à La Rochelle (Charente-Maritime) en 2023.

© Pierre Texier, Inrap

Les inhumations y sont très nombreuses jusqu’au déplacement du cimetière en 1794. Plus de 300 sépultures ont été fouillées. Sépultures en cercueils et linceuls s’y côtoient. Le mobilier religieux (chapelets, crucifix) accompagnait ponctuellement certains défunts.
 

Cougne 4

Rapière (épée) découverte dans le cimetière de La Rochelle (Charente-Martitime) en 2023. Ce dépôt intentionnel auprès du défunt revêt un caractère exceptionnel pour ce type de contexte funéraire (cimetière paroissial des XVIIe-XVIIIe siècles).

© Patrick Ernaux, Inrap

Un espace ouvert depuis la fin du XVIIIe siècle

L’emplacement du cimetière est demeuré peu bâti jusqu’à nos jours. Des jardins et bâtiments industriels (EDF-GDF) s’y sont succédés principalement sur la moitié nord du site.

Cougne 3

Bassin d’agrément (fin XVIIIe-XIXe siècles) installé à l’emplacement du cimetière découvert à La Rochelle (Charente-Maritime). Des stèles funéraires sont réutilisées pour la construction des parois.

© Inrap

Le cimetière de Notre-Dame de Cougnes, le plus grand de la ville rochelaise, a déjà fait l’objet de deux fouilles. Cette troisième opération archéologique a été l’occasion de mieux appréhender son développement au plus près de l’église et son intégration dans la topographie urbaine évolutive de ce quartier (fossé médiéval, bastion).

A cet égard, la découverte d’une voirie et d’un fossé développés en marge du fossé d’enceinte (XIIIe-XVIIsiècles) constitue une donnée inédite dans la topographie urbaine. Cet ensemble participait de la clôture symbolique et monumentale de villes fortifiées comme La Rochelle.

Aménageur : Ville de La Rochelle
Contrôle scientifique : Service Régional de l’Archéologie (Drac Nouvelle-Aquitaine)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Emmanuel Barbier, Inrap