En périphérie du village de Lemud, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Metz, l’Inrap a exploré une portion de villa antique. Cette intervention a livré quelques résultats importants, concernant en particulier les modalités d’implantation de cet établissement rural, son évolution architecturale durant le Haut-Empire et les conditions de son abandon durant l’Antiquité tardive.

Chronique de site
Dernière modification
20 juillet 2023

Dans le cadre de l’extension d’une zone d’activité à Lemud (Moselle), l’Inrap a fouillé une portion de villa antique de mars à mai 2023. L’opération, portant sur une surface de 1500 m², a permis d’explorer une partie du bâtiment résidentiel et un grand grenier. Les recherches n’ont touché qu’une petite fraction de cet important domaine rural, dont l’emprise totale est estimée à un minimum de 1,5 ha mais ont livré des résultats intéressants. La découverte d’une importante occupation sous-jacente à la villa maçonnée permet en effet d’appréhender les modalités de création et d’évolution de cet établissement rural, qui remonte à l’époque romaine précoce (début du Ier siècle apr. J.-C.). Plusieurs états de construction maçonnés ont été observés, signalant des agrandissements de la partie résidentielle. Dans sa dernière phase, la demeure est notamment équipée d’une cave qui a piégé beaucoup de mobilier archéologique, dont des fragments de parois en terre crue décorées d’enduits peints. La partie supérieure du comblement de la cave a livré un petit dépôt d’une vingtaine de monnaies valentiniennes, ainsi qu’un lot d’outils en fer relevant du domaine de la construction. Ces deux ensembles métalliques sont manifestement liés à la récupération de matériaux architecturaux après l’abandon de la villa, à situer dans la seconde moitié du IVe siècle apr. J.-C.

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Cliché aérien de la fouille de Lemud réalisée à l’aide d’un drone.

© T. Ernst, Inrap

L’environnement naturel et anthropique du site

La villa de Lemud se trouve à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Metz-Divodurum, le chef-lieu de la cité des Médiomatriques. Elle est directement reliée à cette capitale régionale par l’intermédiaire de la voie antique allant de Metz à Sarre-Union, qui passe à moins de 3 km au nord de la villa. Sur le plan de la géographie physique, le domaine de Lemud est installé sur une petite colline du plateau lorrain, couverte d’un épais placage de limons des plateaux et dominant le cours de la Nied, qui coule à moins de 500 m en contrebas. Ces conditions ont certainement présidé au choix d’implantation de cet établissement rural : une localisation dans l’orbite économique d’un chef-lieu, des terrains limoneux propices à l’agriculture, la proximité d’un réseau de communication fluvial et terrestre permettant de distribuer les productions du domaine.

Aux origines de la villa : un important établissement rural d’époque romaine précoce

La découverte de nombreuses structures excavées – fosses, fossés et trous de poteaux – antérieures à l’état maçonné renseigne sur l’origine et l’évolution architecturale de cet établissement rural. Les structures rattachables à cette première phase d’occupation permettent d’identifier au moins deux grands bâtiments construits en terre et en bois. Le premier se trouve sous le futur bâtiment résidentiel maçonné et forme un plan rectangulaire d’environ 7,5 m par 15 m, composé de douze poteaux monumentaux, dont les mieux conservés atteignent environ 1,5 mètres de hauteur, 50 cm de diamètre et sont plantés dans de grandes fosses de 1 m de large. Ils présentent également la particularité d’être légèrement inclinés dans le sens transversal de l’édifice ; une caractéristique typique de l’architecture de la fin de l’âge du Fer et du début de l’époque romaine.

Le second bâtiment se distingue par une architecture mixte, comprenant une grande sablière basse relayée par des poteaux porteurs. Son plan exact n’est pas connu, car le grenier maçonné à piliers internes s’y superpose et a détruit une partie de ses vestiges. On peut néanmoins restituer un plan quadrangulaire d’au moins 13,5 m par 12,5 m. Ces deux grands bâtiments de terre et de bois semblent tous les deux remonter à l’époque romaine précoce, probablement au début du Ier siècle apr. J.-C. d’après les premières observations effectuées sur les céramiques associées. Ils signalent une continuité assez stricte avec l’état maçonné postérieur, puisque les bâtiments en pierre se superposent précisément aux bâtiments en bois, moyennant un léger décalage d’orientation. On voit ainsi que les tracés régulateurs qui présideront à l’organisation spatiale de la villa sont en place dès la création de l’établissement, au tout début de l’époque romaine. L’édifice à douze poteaux situé sous la résidence semble déjà avoir la fonction d’habitation, au vu de ses dimensions et de la puissance de ses fondations, qui indiquent une élévation importante. Il s’agirait donc d’une véritable proto-villa de terre et de bois, préfigurant assez précisément l’organisation spatiale et fonctionnelle du domaine du Haut-Empire.

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Une applique de harnais en forme de pelta découverte dans la cave. La pelta est à l’origine un bouclier, dont la forme de croissant échancré est reprise de façon récurrente dans les décors antiques en tant que symbole de la vertu guerrière.

© S. Ritz, Inrap


L’évolution architecturale du domaine au Haut-Empire

La reconstruction en pierre du domaine intervient vraisemblablement à la fin du Ier siècle apr. J.-C. ou dans le courant du IIe siècle. Les principaux vestiges de cette période correspondent à un grand bâtiment résidentiel rectangulaire d’au moins 14 m par 25 m et à un grenier à six piliers internes de 14,7 par 13 m. Ce modèle de grenier, connu par ailleurs, semble être équipé d’un plancher surélevé sur une série de piliers afin d’assurer la conservation des grains en atmosphère aérée. Quant à la résidence, l’étude stratigraphique de ses vestiges permet de restituer son évolution architecturale : elle s’organise initialement autour d’un bâtiment rectangulaire, auquel s’ajoutent d’abord deux petites pièces carrées à l’ouest, puis une grande pièce rectangulaire au sud. Cet espace comprend notamment une cave, qui a piégé beaucoup de mobilier au moment de la destruction de la villa et de l’effondrement de ses élévations. Des fragments de parois en terre crue décorées d’enduits peints ont notamment été découverts au fond de la cave. Les premières observations montrent qu’il s’agit d’une maçonnerie en terre crue sans ossature en bois, c’est-à-dire d’un mur en adobes (briques de terre crue) ou en pisé (terre coffrée), et non en torchis sur un clayonnage de bois.

Ces techniques architecturales restent assez exceptionnelles dans le nord de la Gaule, a fortiori en contexte rural. Ces fragments de parois appartiennent certainement à une ou plusieurs cloisons de refend venant compartimenter les espaces intérieurs de la villa, dans la mesure où leurs caractéristiques – des parois en terre crue d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur – excluent tout rôle structurel dans l’architecture de l’édifice. L’étude à venir des enduits peints apportera des précisions sur la nature des décors muraux mis en œuvre dans cette villa.

L’abandon de la villa durant l’Antiquité tardive

Le sommet du comblement de la cave est principalement composé de petits fragments de calcaire, qui correspondent à des déchets laissés sur place lors de la récupération des moellons du parement de la cave. La fouille de ces niveaux a livré, parmi d’autres éléments, un dépôt composé d’une vingtaine de monnaies valentiniennes, concentrées au même endroit et parfois collées ensemble par l’oxydation. Il s’agit probablement du contenu d’une bourse en matériau périssable.

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Le dépôt monétaire de l’Antiquité tardive lors de sa découverte dans la cave.

 © S. Ritz, Inrap

À quelques centimètres de ce dépôt monétaire, un lot d’outils en fer liés au domaine de la construction (burin, ciseau, gouge…) a été découvert. Il formait également une concentration cohérente, qui laisse penser que ces outils étaient placés dans un contenant disparu, comme une trousse à outils en cuir ou en textile par exemple. Ces deux ensembles métalliques, monnaies et outillage, illustrent les travaux de récupération des matériaux architecturaux de la villa après son abandon, que l’on peut situer – grâce aux monnaies – dans la seconde moitié du IVe siècle apr. J.-C. 

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Le lot d’outils en fer lors de sa découverte dans la cave.

© S. Ritz, Inrap

Aménagement : SEBL Grand Est
Recherches archéologiques : Inrap
Prescription et contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie Drac Grand-Est
Responsable de recherches archéologiques : Simon Ritz, Inrap